Magie musique
Der Freischütz, GTP (Grand Théâtre de Provence), Aix-en-Provence (7 mars 2019). Carl Maria von Weber, opéra romantique en 3 actes. Livret de Johann Friedrich Kind
Création à Berlin au Schauspielhaus le 18 juin 1821
Coproduction Accentus / Théâtre de Caen / Les Théâtres de la Ville de Luxembourg / Opéra de Rouen Normandie / Ludwigsburger Schlossfestspiele / Théâtre des Champs-Elyséés / Cie 14:20 / Insula orchestra
Direction musicale, Laurence Equilbey ; mise en scène et conception magie, Clément Debailleul et Raphaël Navarro ; dramaturgie, Valentine Losseau ; chorégraphie, Aragorn Boulanger ; lumières, Elsa Revol ; costumes, Siegfried Petit-Imbert
Max, Tuomas Katajala ; Agathe, Johanni van Oostrum ; Ännchen, Chiara Skerath ; Kaspar, Vladimir Baykov ; Eremit, voix de Samiel, Christian Immler ; Kuno, Thorsten Grümbel ; Ottokar, Samuel Hasselhorn ; Kilian, Anas Séguin ; Samiel, Clément Dazin
Insula orchestra et chœur Accentus
Ce n’est pas la première fois que nous voyons, dans notre région, Laurence Equilbey au pupitre pour diriger le Freischütz. Nous assistions en effet en février 2011, à l’Opéra de Toulon, à une représentation du même chef-d’œuvre de Carl Maria von Weber, où la phalange locale était alors placée sous sa baguette. Mais ce soir au Grand Théâtre de Provence, les conditions sont différentes : Insula Orchestra, la formation qu’elle a créée en 2012, est en fosse. Les musiciens qui jouent sur instruments d’époque ne déméritent pas, mais à vrai dire, nos oreilles gardent un meilleur souvenir de la soirée toulonnaise. Si la qualité du son produit par Insula Orchestra correspond bien à cet opéra romantique entre tous – avec toutefois des cors d’harmonie qui se confirment comme des instruments décidément très capricieux ! –, c’est surtout la direction qui paraît manquer de relief, de variété, voire de nerf et d’allant. Un exemple parmi d’autres : en début de deuxième acte, l’air d’Ännchen « Kommt ein schlanker Bursch gegangen », qui habituellement pétille et rebondit, est ici pris avec une certaine lenteur académique qui biffe toute gaieté printanière.
Les chœurs Accentus, créés quant à eux il y a 26 ans par Laurence Equilbey, se montrent francs et vaillants dans leurs interventions. La distribution vocale est de bon niveau, dominée par la soprano Johanni von Oostrum dans le rôle d’Agathe : une voix qui porte, des aigus épanouis, qui peuvent aussi s’alléger pour émettre de belles notes aériennes. Chiara Skerath (Ännchen) dispose d’un volume nettement moins important, mais se montre agile et piquante. Tuomas Katajala (Max) est un ténor suffisamment solide sur toute l’étendue du registre, avec un très léger vibratello sur le timbre, et Vladimir Baykov dessine un Kaspar véritablement diabolique et de belle épaisseur, dont seul l’extrême aigu montre des signes de fragilité. L’autre basse Thorsten Grümbel (Kuno) impressionne encore davantage dans ses passages parlés, aux côtés des vigoureux Christian Immler (Eremit) et Samuel Hasselhorn (Ottokar), ainsi que du rôle plus secondaire de Kilian, tenu par Anas Séguin. L’affiche comporte un rôle supplémentaire, celui du diable lui-même Samiel, incarné par Clément Dazin, à la fois comédien, mime, illusionniste dans le spectacle créé par Clément Debailleul et Raphaël Navarro de la compagnie 14:20. Le plateau est continuellement plongé dans une pénombre qui tente de cacher aux yeux des spectateurs les dispositifs créant les illusions, le plus souvent des câbles attachés aux protagonistes et permettant à ceux-ci des mouvements aériens. Malgré la répétition de ce procédé, certains passages sont marquants, comme l’air de Kaspar en fin de premier acte devant des personnages qui tournent, virevoltent, planent, ou encore plus tard Agathe, atteinte par la balle tirée par Max, qui décolle en arrière et atterrit doucement sur le dos. Un rideau descendu en avant-scène reçoit des projections vidéo, souvent de paysages forestiers, mais aussi des séquences moins figuratives lorsque le diable s’en mêle. Les sept balles qui seront coulées par Kaspar dans la célèbre scène de la Gorge aux loups, sont déjà évoquées dès l’ouverture sous la forme de sept boules lumineuses agitées parfois frénétiquement par Clément Dazin, comme un chapelet remué en tous sens. La sombre ambiance installée en permanence sur scène est sans doute un peu excessive, les moments de réjouissance de l’ouvrage étant très peu festifs, mais il faut reconnaître le beau travail réalisé sur les lumières par Elsa Revol et Sébastien Marc. Une ampoule descendue des cintres se balance fréquemment et participe à l’atmosphère résolument inquiétante de la soirée. (I.F.)
IF