« Il faut se rendre totalement disponible »
Remplaçant au pied levé Alexandre Tharaud souffrant, c’est David Kadouch qui a ouvert la saison symphonique 2015-2016 le 16 octobre à Avignon. Pas encore trentenaire, le jeune Niçois, comme son aîné, est auréolé de divers prix prestigieux : formé notamment par Daniel Barenboïm, remarqué par ltzhak Perlman, avant ses 15 ans il joue déjà à New York ou Moscou ; lauréat de l’Adami, il a été Révélation Jeune Talent des Victoires de la musique 2010 et Young Artist of the Year aux Classical Music Awards 2011. Sollicité par festivals et orchestres, il se produit avec Renaud et Gautier Capuçon, les Quatuors Ebène et Modigliani… Le Rotary-club d’Avignon l’avait invité pour un récital au bénéfice de l’Opération Orange (pour les enfants du Caire, « une orange chaque jour pour chaque enfant dans le monde » souhaitait Sœur Emmanuelle) en 2011. On l’a vu sur France 2, sur Arte… Rencontre avec un artiste simple et talentueux.
-David Kadouch, vous allez jouer le 9e Concerto pour piano de Mozart, que vous avez déjà joué, je pense ; que pouvez-vous en dire ?
-(sourire) Bien sûr, je l’ai déjà joué, c’est pourquoi j’ai accepté. C’est l’un des plus connus de Mozart, mais le nom de « Jeunehomme » a été rajouté ensuite par son éditeur. Toutefois je ne veux pas jouer au musicologue, mais dire seulement ce que je ressens quand je le joue. D’abord, de l’humour ; c’est un jeu permanent avec l’orchestre, très présent tout au long du concerto. Il y a aussi un côté féérique, avec une tonalité aiguë, et beaucoup d’interruptions : l’orchestre interrompt le piano, le piano interrompt l’orchestre, c’est rempli de blagues, un concerto très vivant, très changeant. Pour le jouer, il faut se rendre très disponible, ne pas être bloqué du tout, pouvoir changer au quart de tour de ton, de discours, c’est parfois de l’ordre de l’opéra.
-Vous ne voulez pas jouer au musicologue, mais vous pouvez sans doute confirmer l’hypothèse selon laquelle « Jeunehomme » était le nom du dédicataire présumé de l’œuvre… qui se serait révélé une femme, et portant un autre nom ?
–Oui, c’est ce qu’on dit. Mais l’important, c’est ce qu’on voit dans l’œuvre. Et l’on peut tout y voir…
-La dénomination correspond sans doute à une étiquette, pratique pour le public.
–Sans doute, comme pour les Préludes de Debussy. Cela permet à l’auditeur de se mettre dans un chemin, d’orienter son écoute.
-Comment vous préparez-vous habituellement à un concert ? En travaillant 8h par jour, ou en vous ménageant des pauses ?
–Ma journée est complètement orientée vers le piano. Mais j’ai besoin aussi de plages, de pauses. Par exemple, juste avant de vous parler, je suis sorti une heure, avec mon casque sur les oreilles ; pas nécessairement pour écouter de la musique, mais pour être dans mon monde, pour penser à tel phrasé… Cette musique, il faut me l’approprier. C’est comme un diamant ciselé, je dois être totalement concentré sur lui.
-Et ce concert-ci, où vous remplacez au pied levé, j’imagine qu’il est un peu particulier. Une pression supplémentaire ?
–Un stress accru, oui, mais en même temps très agréable. Je dois en deux jours entrer totalement dans le concert, ne penser qu’à ça. C’est un véritable challenge, qui donne un but à la vie. Cela me rend, comment dire ? presque euphorique. Je ne pense plus qu’à ça ; mes petits soucis du quotidien, je les oublie. C’est enivrant, j’oublie tout le reste.
-Vous êtes déjà venu à Avignon pour un récital, mais, à ma connaissance jamais en concertiste.
-Je n’ai en effet jamais joué avec l’Orchestre Avignon-Provence.
-Comment entre-t-on de plain-pied en communion avec un orchestre dès la première fois ?
-C’est un dialogue, c’est parfois magique, parfois moins. Mais cela permet de relativiser la relation entre le pianiste et l’orchestre. Et puis, dans un concert, tout dépend aussi du moment, de la forme que l’on a ce jour-là. C’est dur de prédire comment cela va se passer.
-En l’occurrence je pense que ce sera une soirée réussie : un beau programme, des artistes de talent, et une ouverture de saison que tout le monde attend avec impatience…
-Il faut avant tout être libre, se rendre totalement disponible pour pouvoir réagir le plus naturellement possible.
-Vous avez déjà une très belle carrière. Je présume que vous avez quantité de projets, à court et moyen terme ?
-Mon prochain disque va sortir en janvier chez Mirari ; c’est le disque officiel de la Folle Journée ; il s’intitulera « En plein air », il est conçu comme un parcours initiatique. Je fais aussi beaucoup de musique de chambre, notamment en duo avec Renaud Capuçon. Et des récitals. Et beaucoup de concertos, celui de Tchaïkovski par exemple, à Aix-en-Provence, à Paris.
-Récital, chambre, concerto : c’est la totalité de l’activité d’un pianiste, non ? Comment répartissez-vous ces activités ?
-J’ai besoin d’avoir toutes ces activités, très différentes. Je ne concevrais pas, par exemple comme certains de mes camarades, de ne pas faire de musique de chambre. Je choisis par coups de cœur, des coups de cœur sur une œuvre, sur des œuvres qui me ressemblent. J’ai aussi un duo avec Adam Laloum. J’ai besoin de contacts, j’ai besoin d’apprendre des autres.
-Apprendre des autres… Si vous aviez des conseils à donner à un tout jeune pianiste, que lui diriez-vous, ou quels sont les conseils que vous avez entendus vous-même ou que vous auriez voulu entendre ?
-Il y a beaucoup de conseils que j’aurais voulu entendre. Je crois qu’il faut travailler un maximum, très jeune, et le maximum d’œuvres, pour être ensuite le plus libre possible pour les interpréter. En deuxième point pour les jeunes, il faut savoir que le monde ne va pas les attendre ; il faut provoquer les rencontres, aller vers les gens, qui ne vous attendent pas. Il faut être porteur de projet. Et il faut savoir définir son propre caractère, savoir définir qui on est, en vérité. Regardez par exemple Alexandre Tharaud justement : il a une belle image, elle n’est pas fabriquée du tout, elle est authentique. Il faut donner une vraie image de soi.
-C’est ce que je vous souhaite… » (Propos recueillis par G.ad., octobre 2015).