Opéra de Marseille
Opéra-buffa en 2 actes
Musique, Wolfgang Amadeus Mozart
Livret de Lorenzo DA PONTE
Création à Vienne, Burgtheater, le 26 janvier 1790
Dernière représentation à l’Opéra de Marseille, le 9 avril 2006
Production Atelier Lyrique de Tourcoing
Direction musicale Lawrence FOSTER
Mise en scène Pierre CONSTANT
Décors Roberto PLATÉ
Costumes Jacques SCHMIDT et Emmanuel PEDUZZI
Lumières Jacques ROUVEYROLLIS
Fiordiligi Guanqun YU
Dorabella Marianne CREBASSA
Despina Ingrid PERRUCHE
Don Alfonso Marc BARRARD
Ferrando Frédéric ANTOUN
Guglielmo Josef WAGNER
Orchestre et Chœur de l’Opéra de Marseille
Ce jeudi 28 avril jour de grève, la direction de l’opéra a pu sauver sa représentation, permettant ainsi aux 1800 spectateurs de ne pas repartir bredouilles devant des grilles fermées. Mais il faut apporter quelques précisions : l’orchestre était complet, et ce sont certains membres du personnel technique (salariés permanents … de la fonction publique…) qui ont apporté leur soutien aux grévistes parmi lesquels beaucoup d’intermittents manifestaient ; mais pourquoi le spectacle a t-il eu lieu ? Tout simplement parce que ce sont des intermittents qui ont remplacé les permanents grévistes !!!!
Revenons à ce Cosi : Tout d’abord il faut souligner la clarté et l’intelligence de la mise en scène de Pierre Constant : un décor unique (signé Roberto Platé) qui situe la première scène dans un hammam (et non pas dans un café) où nos deux amoureux sous les doigts de vaillants masseurs vantent les qualités de leurs belles tandis qu’Alfonso se moque de leur naïveté. Par la suite, cette pièce se transforme en chambre ou salon avec de grands volets qui se ferment pour les moments d’intimité ou qui s’ouvrent pour laisser deviner les eaux napolitaines. Tout est simple, sans meubles inutiles : des coussins, une chaise et un lit dont les montants deviendront une arme pour les jeunes filles apeurées ; le sommier quant à lui servira de bouclier aux deux soupirants momentanément effarouchés dans une scène endiablée de fureur très réussie. Voilà une sobriété qui respecte l’œuvre. Le metteur en scène s’éloigne pourtant du classique : les deux Albanais dans leur djellaba bleue ressemblent plus à des sahraouis, les riches présents qu’ils offrent sont quelques étoffes colorées et des paniers remplis d’oranges. Despina déguisée en médecin ne vient pas avec le traditionnel immense chapeau noir mais avec une cornette des sœurs de St Vincent de Paul, tout cela colle bien avec ce dramma giocoso qu’ont voulu Mozart et Da Ponte.
Dès les premières notes de l’ouverture, Laurence Foster par une musique bien lancée rappelle aux éventuels distraits que c’est bien Mozart que nous sommes venus entendre, sa direction ferme et sa complicité avec l’orchestre nous offrent une interprétation bien enlevée et sans défauts, son attention envers les chanteurs corrigera rapidement les deux légères hésitations des deux soldats. En revanche, même si dans l’œuvre les chœurs sont réduits à deux passages, on ne comprend pas pourquoi ils ne sont pas sur scène. On ne sait pas si l’on entend de la musique préalablement enregistrée ou s’ils se cachent quelque part dans les loges, c’est dommage !
Dans cet opéra il y a peu de morceaux solo, très souvent les chanteurs s’expriment ensemble, du duo au sextuor ; une des qualités est que personne n’écrase personne et que c’est la complicité (comme dans l’amour) qui crée la réussite ; chacun pense aux autres et n’essaie jamais de s’imposer ; les scènes « d’agitation » sont jouées avec une grande facilité scénique et vocale. Les artistes ont un physique qui correspond à l’emploi et des voix qui collent absolument aussi à ce désir amoureux qu’ils feignent ou qu’ils ressentent.
Guanqun Yu est à l’aise en Fiordiligi, rôle qu’elle a interprété au MET en 2013. Son timbre limpide et suave est en harmonie avec ses sentiments amoureux lorsque avec sa sœur elle exprime son bonheur dans le duo « heureuse, je suis heureuse » (« felice, son’io felice« , I, 2). Il deviendra très émouvant dans son solo de la tentation où des sentiments contradictoires la déchireront : « Je brûle et mon ardeur n’est plus l’effet d’un amour vertueux » suivi du Rondo « Per pietà, ben mio, perdona all’error di un’alma amante » qu’elle interprète avec une conviction de souffrance qui séduit le public.
Dorabella (Marianne Crebassa) : son rôle scénique est joué à la perfection, la beauté de sa voix est libérée et plus elle s’investit dans jeu théâtral, mieux elle chante. Son superbe timbre mezzo s’enroule en complémentarité avec le délicat soprano de sa sœur. Une chaleur intense émane de sa prestation et elle frémit de joie et de plaisir lorsqu’elle se laisse séduire par son Albanais.
Le trio au départ du bateau « son partiti… » entre les deux sœurs et Alfonso révèle une délicatesse musicale mise en valeur par les trois interprètes (deux dans la sincérité, le troisième dans l’hypocrisie). Justement le don Alfonso de Marc Barrard est très plausible dans son attitude ; Il a travaillé autrefois avec Gabriel Bacquier et a hérité de son maître une faconde naturelle. Sa voix décrypte parfaitement l’ironie de la belle farce qu’il est en train de manigancer, son timbre profond de baryton sait être dominateur envers les deux garçons, protecteur envers les deux pauvres victimes féminines et séducteur envers l’accorte Despina qu’il associe à son complot. Celle-ci est interprétée par une Ingrid Perruche svelte et très en vivacité, elle campe fort bien la soubrette délurée et philosophe qui voudrait entraîner ses maîtresses aux plaisirs de la vie. Il est dommage que ses aigus un peu acides nuisent à l’équilibre de son rôle.
On a retrouvé avec plaisir le ténor québécois Frédéric Antoun (L’Italienne à Alger en 2013 sur cette même scène). Son élégance et sa voix lui permettent d’être naturellement dans le personnage de Ferrando et de développer sans peine ses airs de certitude, de conquête puis de désespoir et enfin de cynisme en fin de parcours. Il est solaire, aérien, lumineux.
Son compagnon Josef Wagner (Guglielmo) est de retour lui aussi sur la scène marseillaise (Don Giovanni en 2011, La Clémence de Titus en 2013). Une élégance de Don Juan associée à un timbre chaud et envoûtant lui permettent de s’assurer un succès certain auprès du sexe qui s’avérera faible… en harmonie parfaite avec Marianne Crébassa dans le fameux duo du petit cœur : « perché batte batte batte qui ? ».
On aura compris que tout était séduisant dans cette production qui a reçu à chacune des 5 représentations un accueil triomphal amplement mérité.
Duo 84