Une mezzo et un piano, dans un programme original et pétillant...
Les Saisons de la Voix. Concert du Bout-de-l’An. Mardi 28 décembre 2021, 18h, Espace Simiane, Hôtel de ville, Gordes
Camille Bordet, mezzo-soprano ; Ayaka Niwano, piano
Introduction. Szulc, Quand on est trois : « J’peux pas monter »
France. Severac, « Temps de neige ». Mompou, air anti-frivole : « Non, non, je veux plus de ces pensées frivoles ». Meyerbeer, Les Huguenots, air d’Urbain : « Nobles seigneurs, salut »
Espagne. Rossini, « Canzonetta spagnuola »
Etats-Unis. Kander, « New York, New York ». Moore, « Sexy lady »
Italie. Mozart, Cosi fan tutte, air de Dorabella : « Ah, scoslati… smanie implacabili »
Arménie. « Oror » et « Hovarek », d’après Komitas
…et Ayaka Niwano jouera : Mascagni, Cavalleria Rusticana (transcription par Friedman): « Intermezzo ». Gluck, Orfeo ed Euridice : « Mélodie »(transcription par Friedman)
Une mezzo et un piano dans un lieu intime, pour un programme festif et original, de l’opéra à la comédie musicale, en passant par l’opérette et la mélodie… Camille Bordet retrouve Ayaka Niwano, accompagnatrice de l’édition 2021 du Concours international de la mélodie de Gordes, en septembre dernier, dans un concert d’excellence
On a terminé l’année 2021 en beauté, comme toujours aux Saisons de la Voix, dans le cadre sobre et élégant de l’Espace Simiane, face au château et ses guirlandes colorées, et plus loin, aux contreforts du Luberon. Un cadre exceptionnel pour un moment qui devait l’être aussi, un « banquet de mezzos », comme le lançait en boutade Raymond Duffaut président des Saisons, rappelant en clin d’œil le beau concert des « deux mezzos sinon rien », de Karine Deshayes et de sa consœur du CNSMP Delphine Haidan.
Camille Bordet et Maria Miller avaient été deux des meilleures lauréates de la 13e édition du Concours international de la mélodie de Gordes, en septembre dernier (2021), « chacune avec sa personnalité, sa couleur de voix, son style », souligne le président ; elles devaient unir leur jeune talent à celui de la brillante pianiste Ayaka Niwano, fidèle des Saisons.
Ce Concert du Bout-de-l’An devait donc être celui de deux mezzos et un piano. Les circonstances en ont fait un dialogue intimiste entre une seule mezzo et un piano, déjà complices artistiques.
Suite à la défection de Maria Miller pour raisons de santé, Camille Bordet a accepté, avec la souriante pugnacité et le professionnalisme qu’on lui connaît, d’animer, en seule voix, avec la pianiste Ayaka Niwano, ce traditionnel Concert du Bout-de-l’An. Elle a modifié en conséquence le programme ; toujours festif et toujours international, puisqu’on a voyagé de France jusqu’aux Etats-Unis, en passant par l’Italie et l’Arménie, le programme porte la marque de son originalité, avec un choix de pièces rares, à côté de Mozart et Rossini. Et toutes les subtilités en ont été détaillées dans le programme de salle signé Philippe Gut, qui a dû, lui aussi, négocier habilement le virage de dernière minute !
Et Ayaka Niwano a pris toute sa place puisque, avec le talent qu’elle a manifesté plusieurs fois aux Saisons de la Voix, elle a joué aussi le magnifique « Intermezzo » de Mascagni (Cavalleria Rusticana) et une mélodie de l’Orfeo de Gluck.
Dans un récent entretien avec les Saisons de la Voix, Camille Bordet dévoilait son parcours. Formée comme son frère par la Maîtrise de Dijon à un large répertoire, tant profane que sacré, elle a d’abord suivi une tout autre voie, entrant à Sciences Po. Un déclic lui fait prendre conscience de sa profonde frustration, et de la nécessité pour elle de revenir à l’essentiel de sa vie, la musique. Elle affirme un lien charnel avec la musique ancienne et baroque, ainsi qu’un goût pour les accents orientaux, peut-être liés à ses origines maternelles. C’est d’ailleurs une pièce arménienne qui lui a valu son succès au 13e concours international de la mélodie de Gordes, en septembre ; ce répertoire et ce pays occupent une place privilégiée dans ses projets, à côté de quelques rendez-vous à Gordes en 2022, et du travail au sein de l’ensemble la Capella Reial de Jordi Savall, avec lequel elle chantera à Salzbourg en août. Jordi Savall, lui, sera le prestigieux invité du concert d’une fin de saison somptueuse de Musique Baroque en Avignon.
A quelques heures du Réveillon, on a donc dégusté sans retenue à Gordes des gourmandises de l’opéra, de l’opérette, de la mélodie et de la comédie musicales. C’est avec panache que les deux jeunes artistes ont animé ce concert. Dans un programme résolument international, elles ont su, en deux ou trois minutes, installer des univers éphémères, créer des atmosphères diverses… Les chants arméniens a capella, notamment, ont été bouleversants, et leur souvenir durable demeure dans tous les esprits.
Le talent de la pianiste est déjà bien connu, justifiant sa présence sur de nombreuses scènes nationales et internationales.
La jeune mezzo Camille Bordet, elle, a conquis sans réserve un public nombreux – une salle étonnamment pleine en cette période de fêtes familiales -, par sa voix souple et claire, son sens de la scène… et son humour pétillant. Et si elle a chanté en introduction « J’peux pas monter », s’attirant aussitôt sourires et sympathie, la suite a montré que ses aigus, sans être cristallins ou agiles, étaient joliment colorés, et son timbre bien posé sur tout l’ambitus ; une projection précise, une diction parfaite quelle que soit la langue, lui donnent des atouts pour une carrière solide. Quant à sa présence en scène, sa façon d’habiter l’espace, ce n’est pas la moindre de ses qualités, tant dans l’intimité de la mélodie que dans les promesses de l’opéra. S’agissant enfin des contraintes liées à la situation sanitaire, chacun s’y est plié de bonne grâce, même au prix d’un léger retard dans l’ouverture du récital : masque et vérification des pass sanitaires – procédure à laquelle on est déjà largement habitué -, mais aussi inscription individuelle sur un registre municipal pour traçabilité.
Pour les perspectives d’avenir des Saisons, la programmation du millésime 2022 ne saurait tarder, quand nous aurons tourné la page de cette deuxième année sanitairement chaotique…
G.ad. Photos G.ad.
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