-Chantal Santon, comment s’est constitué le programme de votre concert de dimanche 24 mars 2017, sous l’égide de Musique Baroque en Avignon ?
-C’est une longue histoire. Antonio Alessandro Stradella, qui a vécu dans la seconde moitié du XVIIe siècle, est un compositeur que Gérard Lesne m’a fait découvrir il y a environ 15 ans. Un compositeur très peu joué mais dont la découverte a été un bonheur. J’ai alors cherché à en savoir davantage sur lui, j’ai continué mes recherches, et notamment avec Benjamin Chénier. Stradella a beaucoup écrit, principalement des airs d’opéras et des oratorios, que j’ai enregistrés pour le label Alpha, un disque qui sortira en octobre. Pour le programme d’Avignon, nous avons fait un mélange entre Vivaldi et Stradella, pour donner un autre éclairage. Stradella est le premier compositeur très virtuose pour la voix ; c’est l’époque des divas, des castrats, qui va s’épanouir à l’époque de Vivaldi. Cette musique virtuose était exclusivement chantée par les castrats, puisque les femmes étaient interdites de scène. Elle fait appel à des tessitures incroyables, très virtuoses. C’est excentrique, difficile, et Vivaldi va être un aboutissement de cette musique.
-On connaît globalement la vie de Vivaldi, le « prêtre roux ». Stradella, lui, est moins connu en effet ; sa vie est pourtant un véritable roman d’aventure ! Les épisodes de la vie de Stradella ont-ils une répercussion dans sa musique ?
-C’est la même énergie, le même sens de la transgression.
-Une vie pourtant courte, puisqu’il a été tué, je crois, à 49 ans ?
-A 42 ans, sans doute sous les coups d’un mari jaloux. Stradella était d’une famille riche, il bénéficiait d’une rente, il était donc libre, il n’avait pas besoin d’un mécène et ne travaillait pas sur commande, ou du moins il pouvait y échapper. Il a eu des commandes, notamment pour l’opéra de Rome, mais il n’était pas lié. D’où cette impression, dans sa musique, de liberté, de terrains nouveaux, de recherches harmoniques inédites, de cheminements étonnants. Stradella a beaucoup voyagé, c’était un don juan, il a été assassiné. Tout cela dans sa vie est très opératique ! Et sa vie a inspiré quantité d’écrivains et de compositeurs. Rossini a été le premier à écrire sur Stradella. Sa musique, Stradella l’écrivait sur un coin de table, elle était tout de suite claire, précise, rapide, spontanée, ses brouillons ne sont jamais raturés. Il a écrit plus de deux cents cantates, dont des cantates avec orchestre, et environ quinze grands oratorios. C’était vraiment un génie.
-Dans votre carrière, vous abordez des registres très différents. Comment se promène-t-on ainsi d’un répertoire à l’autre ? Vous avez une voix considérée comme « longue », mais avez-vous une gymnastique vocale particulière ?
-La nature a été généreuse avec moi, et j’ai en effet une voix assez longue, mais il y a aussi une gymnastique à faire pour l’entretenir. Je suis ce qu’on appelle une colorature dramatique. Je trouve avec beaucoup de satisfaction des correspondances pour ma voix chez Stradella et Vivaldi.
-Quant à la gymnastique ?
-Quel que soit le répertoire, il y a toujours une gymnastique dans l’absolu, qui relève de la technique. Il y a surtout la confrontation avec les rôles, qui relève de la diversité des répertoires. En fait je m’étais posé la question du choix, mais la pluridisciplinarité est un atout, et les divers répertoires se nourrissent l’un l’autre.
-Benjamin Chénier, qui sera votre complice instrumental, trouve dans la musique italienne du XVIIe siècle, dit-il, « une certaine idée de l’humanisme en musique ». Comment se manifeste cet humanisme ?
-Il faudrait poser la question à Benjamin Chénier directement (rire). Ce qui nous lie, c’est une vision vivante de la musique, même si lui est plus informé historiquement et philosophiquement. En tout cas, cette musique est marquée par l’expressivité, la chaleur humaine, sans rien d’abstrait. Elle nourrit le quotidien.
-A propos de la musique de Stradella, Benjamin Chénier dit aussi qu’elle est proche de la musique grecque, que je connais un peu, notamment à travers des travaux d’Annie Bélis (« De la pierre au son ») ; Annie Bélis a établi une notation musicale d’après quelques éléments gravés sur une pierre trouvée à Delphes.
–Je ne suis pas spécialiste de cette musique. Là aussi, Benjamin Chénier vous serait d’un plus grand secours (rire).
-La région Paca vous a déjà accueillie plusieurs fois, notamment dans le cadre de Musique Baroque en Avignon, qui s’appelait alors Festival de Musique ancienne Avignon-Vaucluse. Ainsi, nous vous avions entendue en récital à Ménerbes, puis dans la re-création, très réussie, du Tancrède de Campra. Avez-vous des liens particuliers avec la région ?
-(éclat de rire) Enormes ! Je suis marseillaise. Et j’ai de la famille à Avignon, mon grand-père. Vous parlez du concert de Ménerbes ; pour moi c’était magique, mais c’est aussi un souvenir qui me perce le cœur, parce ma tante habitait juste à côté de l’église, et qu’elle est maintenant décédée. Oui, la Provence c’est mon pays. Et Benjamin Chénier, lui, est de Rognes. Et pourtant je n’ai jamais chanté à Marseille, je n’ai jamais auditionné à l’opéra de Marseille, et je le regrette un peu…
-Provençale, vous avez pourtant perdu l’accent, comme moi…
-(rire) Mais je peux très vite le retrouver !
-Si vous n’aviez pas été ce que vous êtes, qu’auriez-vous aimé être, ou faire ?
-Vous savez, je ne me destinais pas à la musique. J’ai fait Sciences-Po à Aix. Je voulais faire de la diplomatie.
-Qu’est-ce qui vous en a détournée ?
-La musique. Papa, François Santon, est titulaire de l’orgue de St-Victor à Marseille. J’ai toujours vécu dans le monde de la musique, mais j’étais une musicienne pas douée. Je n’avais pas trouvé mon instrument. Et puis quand j’ai trouvé ma voix….
-Voulez-vous ajouter quelque chose ?
-Je pourrais parler de Stradella pendant des heures (rire). Il faut vraiment se laisser prendre par cette musique, plus facile d’ailleurs que Vivaldi. Dès l’entrée on est pris par la théâtralité du texte et la beauté de la musique.
Propos recueillis par G.ad., mars 2017