Stradella vole la vedette à Vivaldi
Chantal Santon, soprano. Ensemble Galilei Consort ; direction musicale, Benjamin Chénier
Conservatoire du Grand Avignon, Auditorium Mozart
Stradella, La Pelagia (oratorio), Ouverture ; air de Pelagia : Strugge l’aima ; récit et air de Pelagia : Quelfiore
Vivaldi, Sinfonia « Al sepulto santo » ; In Furore, Motet pour soprano, cordes et basse continue, RV 626 ; Aria : Infurore ; Récit : Miserationum pâtre piissime ; Aria : Tune meusfletus ; Alléluia
Stradella, La forza dell amor paterno (opéra) ; Sinfonia, de Antioco : Lasso, chefeci & Scena di pazzia ; La Susanna (oratorio), Air de Susanna : Da chi spero aita o Cieli
Vivaldi, Sonate – extrait du recueil « La Stravaganza » op.4 ; La Griselda (opéra) ; Air de Costanza : Agitata da due venti
En co-réalisation avec l’Opéra Grand Avignon
Avec ce concert, Musique Baroque en Avignon aborde, au sein de sa saison, ses concerts de printemps ; c’était le dernier rendez-vous dans le bel amphithéâtre du Conservatoire, avant de revenir le 23 avril, avec des températures plus clémentes, dans l’écrin octogonal idoine de la Chapelle de l’Oratoire du XVIIIe siècle.
Chantal Santon avait déjà été accueillie par Musique Baroque en Avignon – sous l’appellation d’alors de Festival de Musique ancienne d’Avignon-Vaucluse -, dans deux prestations bien différentes mais également mémorables : un duo à Ménerbes avec la claveciniste Violaine Cochard – qui, au sein de l’Ensemble Amarillys, est elle-même souvent invitée par la Courroie à Entraigues-sur-la-Sorgue, à deux pas d’Avignon -, et la magnifique recréation du Tancrède de Campra à l’Opéra-théâtre d’Avignon, qui n’était pas encore devenu Opéra Grand Avignon.
Chantal Santon a la vivacité de ses origines provençales. Elle qui s’étonne de n’avoir jamais chanté à Marseille (lire notre entretien ici), rappelle que son papa François Santon est titulaire de l’orgue de St-Victor dans la cité phocéenne. Elle-même s’illustre, avec talent et bonheur, dans un large répertoire qui va du baroque au contemporain, ces univers se nourrissant mutuellement et enrichissant sa pratique. C’est d’ailleurs par le contact permanent avec ces divers genres qu’elle entretient la voix au spectre large dont la nature l’a dotée. Avec Benjamin Chénier (violon solo à l’Académie Baroque d’Ambronay et à l’abbaye de Royaumont) et l’ensemble Galilei Consort, elle partage la même curiosité exploratoire (Galilei étant le père de l’illustre Galilée, tout un programme !).
Ensemble ils ont donné à Avignon un programme qui devait combler le public le plus large. A côté de Vivaldi, le prêtre roux que tout le monde connaît et qui joue l’appelant en tête d’affiche, ils ont choisi de faire découvrir une musique pétillante, alerte, expressive, celle de Stradella, dont la vie est à elle seule est un roman : aventurier, tué à 42 ans, sans doute par un mari jaloux, il a su produire par ailleurs une œuvre abondante et injustement méconnue. Plus de deux cents cantates, près de quinze oratorios, et des airs d’opéras, dont on a ainsi découvert quelques pépites.
La salle était finalement honorable, malgré la concomitance d’un concert vocal potentiellement concurrent, du chœur local Homilius, et malgré une course pédestre qui menaçait de bloquer tout l’intra-muros. Si un changement tardif de programme n’avait pas permis de rectifier le document distribué au public, les quelques mots explicatifs de Chantal Santon, présentant la couleur de chaque pièce, ont suffi pour dessiner des atmosphères.
Stradella s’est taillé la part du lion, la soprano s’offrant la joie gourmande de partager ce compositeur mal connu, et proposant un double volet entre musique profane et musique sacrée.
Dans le répertoire profane, les affres de l’amour non partagé, la fureur, le désespoir, la folie… ou le détachement léger. Dans le répertoire prétendument sacré… peu de différences de fait, car les églises étaient à l’époque plus riches que les théâtres, comme le rappelle Chantal Santon, et que les compositeurs venaient y tester leurs opéras – en forme parfois de faux oratorios… –
Dans l’un comme dans l’autre, la soprano a fait apprécier la puissance et la rondeur chaleureuse de ses médiums, l’éclat de ses aigus, ainsi que, dans le Motet (In Furore) de Vivaldi, une souplesse, une célérité, donnant une expressivité de belle tenue à son interprétation.
L’Ensemble Galilei Consort était un interlocuteur à part entière du concert, qui se partageait entre parties instrumentales et pages vocales. Benjamin Chénier et Yohann Moulin aux alertes violons baroques, Cécile Vérole en gambiste délicate, André Heinrich au luth subtil, et Francis Costa talentueux aux clavecin et orgue positif, ont partagé une belle complicité musicale, et les pièces choisies réservaient de beaux moments solistes à chacun des instruments.
J’avoue aimer les concerts imparfaits, ceux qui rendent plus rare le talent, et l’exception plus précieuse parce que fragile . J’aime les grains de sable dans la machine, qui insufflent de l’humanité, et qui rendent le public complice. Un feuillet de partition qui échappe, une corde en boyau qui claque bruyamment… et me voilà comblée ! Ainsi, le bis n’a pu être que l’Alleluia final de Vivaldi, « le seul morceau qui puisse se jouer sans le mi », a plaisanté le premier violon. (G.ad., texte et photos).