Sacrées nanas, inclassables et irrésistibles, venues d’Ukraine !
Vendredi 28 janvier & samedi 29 janvier 2022, 20h30. Opéra Grand Avignon
« Cabaret Punk ». Crossover symphonique.
Dakh Daughters. Orchestre National Avignon-Provence. Direction, Samuel Jean, remplaçant Gast Waltzing initialement prévu. « Cabaret Punk », Orchestration, Pierre Thilloy
Un projet « transversal » avec les Dakh Daughters, groupe de sept artistes ukrainiennes mêlant musique de genre, théâtre et créations expérimentales.
Voir la saison de l’Orchestre National Avignon-Provence
Pour décoiffer, ce fut une soirée décoiffante et roborative, ou plutôt deux soirées, puisque le même concert a été donné deux fois, vendredi et samedi soir à l’Opéra Grand Avignon. Electronique et symphonique réunis sur une même scène, c’était inattendu… et très réussi !
La salle de l’opéra frappant des mains, puis debout… on n’avait guère connu pareille fièvre depuis plusieurs années (sauf pour Julie Fuchs en début de saison). Chacun y a trouvé son compte : les amateurs de musique amplifiée, les fans de musiques du monde, la communauté russe locale, et même les mélomanes classiques, comme nous.
Proférations juste murmurées, ou jetées en un cri, ou quasi slamées… Les Dakh Daughters, ces Femens des confins de l’Europe, mutatis mutandis, sont depuis plusieurs années le fer de lance d’une révolte artistique dans le seul théâtre privé d’Ukraine, le Dakh éponyme ; une révolte viscérale mais presque joyeuse, saine, bouillonnante de créativité, et généreuse, sans haine, sans acrimonie ; un spectacle plébiscité partout dans le monde, qui déploie allègrement le drapeau national bleu/jaune au salut final.
Sacrées nanas, hypervitaminées ! Des Buster Keaton lunaires, toutes de blanc et noir vêtues et maquillées, que ces six filles (la septième était absente), chanteuses – même si on est loin d’une Sabine Devielhe ou Marie-Nicole Lemieux – et musiciennes – divers instruments, jusqu’à des cousins des cors des Alpes – !
Tous les ingrédients du grand show de variétés sont réunis : des lumières crues, des amplis, des projections vidéo… Les chants, en français – exquise politesse, d’autant que plusieurs d’entre parlent couramment la langue – ou en langue originelle, ne font pas dans la dentelle, et l’attaque est rude, voire trash, avec vocabulaire et images à ne pas mettre entre toutes oreilles et regards… même si les enfants n’étaient pas rares dans la salle, et si une dizaine de classes dans la journée en séance scolaire s’étaient régalées, nous dit Pierre Thilloy le compositeur.
C’était néanmoins le tout premier concert des Dakh Daughters avec un orchestre symphonique. Leur mariage avec l’Orchestre National Avignon-Provence pour deux soirées est né d’une série de hasards, de rencontres, de projets… En 2018, les Dakh Daughters étaient le fer de lance du petit théâtre de Kiev, clamant leur révolte contre une situation politique déjà délétère, alors que la Crimée venait de tomber sous la férule russe. Cette révolte est devenue un spectacle à part entière, un « Cabaret punk », militant et artistique ; les Dakh Daughters l’ont donné un peu partout, avec le même succès phénoménal, parfois seules avec leurs instruments, parfois avec un petit groupe de musiciens comme sous la direction de Gast Waltzing à Luxembourg.
Mais avec un véritable orchestre symphonique, c’était la toute première fois, à Avignon. Les deux formations – Onap et Dakh Daughters – étaient dirigées tout en finesse par Samuel Jean, qui avait accompagné l’Orchestre d’Avignon dans une tournée en Inde en février 2013… en Inde où les accompagnait aussi Pierre Thilloy. Car le trait d’union de tout ce projet, c’est bien Pierre Thilloy, un compositeur que les défis stimulent et que l’impossible n’a jamais effrayé ; il apprécie, nous confirme-t-il avec une sorte de gourmandise, « de trouver des gens étranges, tenter des choses inattendues » ; il s’est « glissé » pour écrire des « articulations musicales », le tout totalement sur mesure, et sans rien changer aux textes et aux musiques des Dakh Daughters.
En harmonie, en contrepoint ou en accord, la phalange avignonnaise a offert une rondeur, une ampleur, une opulence qui, loin d’affadir ou de lénifier l’acidité du groupe ukrainien, l’a veloutée pour mieux la sublimer. L’ONAP propose chaque année dans sa programmation un « crossover » de ce type, un projet trans-artistique surprenant, qui a toujours beaucoup de succès et renouvelle le public. C’est dans le même cadre qu’avait déjà été créé à Avignon sans public – Covid oblige – La Femme samouraï, spectacle tout aussi détonant et réussi.
La salle – relativement jeune, avec une forte communauté russophone – a exprimé un enthousiasme mérité, et depuis lors les commentaires affluent sur Facebook, à l’instar d’un « Cool comme l’enfer » en cyrillique.
G.ad. Photos Igor Gaïdai (1), G.ad. (2 & 3)
Laisser un commentaire