Instants de grâce
Bertrand Chamayou, piano
Maurice Ravel (1875-1937), Jeux d’eau (1901) ; Pavane pour une infante défunte (1902) ; Sérénade grotesque (1893, exhumée) ; Gaspard de la nuit (1909), Ondine, Le Gibet, Scarbo
Franz Schubert, 12 Lãndler, opus 171, D790
Franz Schubert / Franz Liszt, Auf dem Wasser zu singen (A chanter sur l’eau)
Franz Schubert, Fantaisie en ut majeur, opus 15, D760, dite « Wanderer – Fantaisie », Allegro con fuoco, ma non troppo ; Adagio ; Scherzo (presto) ; Finale – Allegro
Le jeune pianiste Bertrand Chamayou (notre entretien ici) fait partie des personnalités les plus en vue dans le monde du piano. Plusieurs fois primé lors de grands concours internationaux, il se produit sur les plus grandes scènes internationales, jouant sous la direction de grands chefs. Ses enregistrements sont très remarqués : en 2011, son intégrale des Années de Pélerinage de F.Liszt a été couronnée de nombreuses récompenses, son magnifique disque Schubert paru en 2015, et son CD consacré à Ravel en 2016 ont été acclamés par la critique. C’est à ces deux derniers compositeurs que Bertrand Chamayou a rendu hommage, alors qu’il est invité pour la quatrième fois sur la scène de l’Opéra Théâtre d’Avignon.
Une première partie de la soirée consacrée à Ravel révèle un pianiste au jeu particulièrement expressif. Dès les premières notes de Jeux d’eau, suivis de la Pavane pour une infante défunte et Miroirs, la précision et la délicatesse de toucher du pianiste crée une ambiance fluide, hors du temps, propre à Ravel. La moindre note est ciselée, les attaques précises et délicates de l’artiste font chanter les fragments harmoniques. Bertrand Chamayou est l’homme de la perfection.
En seconde partie de la soirée, Schubert est à l’honneur avec 12 Ländler op171 D 790 suivis d’un lied composé en 1823 et transcrit par Franz Liszt : Auf dem Wasser zu singen. Dans cette pièce extrêmement mélodieuse, émouvante et pleine de mélancolie, la main gauche est très sollicitée. Le pianiste impose un style parfait et nuancé, paré de couleurs multiples. Cette composition montre une très belle virtuosité.
La Fantaisie en ut majeur opus15, D760 dite «Wanderer-Fantaisie» est en quatre mouvements. Cette pièce pour piano est considérée comme étant la composition de Schubert la plus exigeante techniquement. Le compositeur lui-même aurait dit « Das Zeug soll der Teufel spielen » (« C’est le diable qui devrait jouer ça »), faisant référence à sa propre incapacité d’exécuter le final correctement. Liszt en composera par la suite plusieurs transcriptions car la virtuosité de l’œuvre l’avait séduit. Bertrand Chamayou se joue des difficultés. Dès les premiers accords, le ton est donné : rigueur, force et pourtant une alternance avec des passages riches en émotion. Cet artiste est tout à la fois, un virtuose, (il le prouvera tout au long de ce morceau mémorable) et un très grand interprète qui, au-delà de la virtuosité sait faire passer les émotions. Sous les ovations du public, Bertrand Chamayou a offert en bis un adagio extrait d’une des dernières Sonates de Haydn, une pièce douce et pleine de sérénité. Nous avons eu ce soir la démonstration d’un très grand pianiste avec lequel il faut compter. (D.B. Photos : M.A.)
Si la musique de chambre est trop souvent confidentielle, le nom de Bertrand Chamayou avait (presque) rempli l’opéra Grand Avignon ce mardi soir. A juste titre, parce qu’il s’agit d’un des artistes les pus doués de sa génération, sans effets spectaculaires, sans tapage, dans l’efficacité et la discrétion. Après un Ravel saisissant d’exquise délicatesse, un Schubert éblouissant d’impétueuse virtuosité, et un adagio de Haydn velouté, bain de foule. Passant directement de la scène au hall d’accueil de l’opéra, Bertrand Chamayou s’est prêté au rituel des autographes, mais a surtout partagé avec le public, offrant un mot aimable à chacun, dans une souriante simplicité qui n’est pas le moindre de ses talents. Les plus grands artistes sont aussi les plus généreux. (G.ad. texte et photos)