Le clavecin fait le plein
Conservatoire à Rayonnement Régional, Auditorium Mozart (dimanche 18 mars 2018).
Benjamin Alard, clavecin.
Bach, Variations Goldberg
www.musiquebaroqueenavignon.fr
En co-réalisation avec l’Opéra Grand Avignon
A propos des Variations Goldberg
« J’ai eu l’occasion de présenter les Goldberg en concert encore tout jeune, dès 2006. Commencer si tôt fut une chance… car il m’a fallu par la suite bien du temps pour dépasser la phase d’exaltation et d’insouciance qu’une telle partition, aussi riche et séduisante, nourrit forcément chez l’interprète émerveillé. J’ai décliné une invitation à les enregistrer, j’ai bien fait. Puis je les ai jouées moins souvent, et enfin je les ai laissées reposer deux ans. Après quoi deux expériences m’ont aidé à développer un regard plus libre.
D’une part, je me suis imposé de les jouer par cœur. Il m’a semblé que je me détachais beaucoup plus facilement de mes habitudes quand je n’avais plus la partition sous les yeux. Et quand je la ressortais enfin, j’arrivais à y voir ce que Bach a vraiment écrit, et non plus l’image que je m’en étais faite, ou celle qui me séduisait et venait d’ailleurs.
C’est aussi un travail de transcription qui m’a permis de m’en dé-familiariser, condition sine qua non pour faire sonner les Goldberg sur … un grand orgue typiquement français. Il ne s’agissait donc pas de chercher ce que Bach aurait pu faire sur l’un de ces orgues (allemands), mais de mettre à profit l’abondance orchestrale de couleurs très distinctes, typiques de la facture française, pour exacerber toutes ces oppositions des mains qui sont propres aux Goldberg. Un canon se métamorphosait sans effort en parant des messes de Couperin, d’autres pages résistaient, impliquaient des modifications substantielles. Certaines dimensions de l’écriture qui m’avait échappé passaient au premier plan. L’orgue m’a amené à (re)faire mille choix dont je n’avais même pas conscience et à réviser certains tempos à la baisse. Ce qui m’a en retour inspiré au clavecin, où la tentation de laisser faire la virtuosité au fil d’un enthousiasme brouillon est grande… dans cette œuvre qui ne s’épanouit vraiment qu’avec une parfaite clarté. » (Benjamin Alard).
Le clavecin fait le plein… et même au-delà, puisque certains spectateurs ont dû s’asseoir jusque sur les marches de l’auditorium. Si le nom de l’artiste et le programme proposé, ne pouvaient qu’être légitimement attractifs, les fluctuations de fréquentation de la saison musicale laissent néanmoins des interrogations. Les voies/voix de l’art sont impénétrables…
Donc, après les musiques du temps des papes, sacrées et profanes, après le contre-ténor Franco Fagioli, et les cuivres anciens des Sacqueboutiers, ce dimanche le 7e concert de la saison de Musique Baroque en Avignon accueille un clavecin, l’instrument-roi de la musique baroque, avec une pièce maîtresse du répertoire, les Variations Goldberg.
Inutile de s’encombrer des multiples interprétations – symbolique de l’architecture, hypothèses numérologiques, ésotérisme des lettres du nom de B.A.C.H. et autres – pour entrer de plain-pied dans cette œuvre riche et lumineuse.
Dans un silence d’écoute aérien, Benjamin Alard, artiste sensible et délicat, a su faire jaillir avec une même limpidité, à travers la diversité de tempi, tonalités et genres, les miroitements généreux des canons, passacailles, toccatas, gigues, ou auto-citations. Une promenade imaginaire à partager les yeux fermés ou en suivant du regard le jeu de l’interprète.
Né à Rouen en 1985, ce grand adolescent entretient en effet avec Jean-Sébastien Bach une relation privilégiée depuis des années, consacrée à 19 ans par son 1er Prix international de clavecin à Bruges en 2004, présidé par Gustav Leonhardt. Plusieurs années et quelques récompenses plus tard, formé notamment par Andreas Marcon, lui-même reçu il y a quelques années par Musique Baroque en Avignon (qui s’appelait encore Festival de Musique ancienne Avignon-Vaucluse), Benjamin Alard, invité de salles et festivals français et étrangers, sollicité jusqu’au Japon et Etats-Unis, se produit tant à l’orgue qu’au clavicorde ou clavecin, en solo ou en formation. Nommé en Révélation instrumentale aux Victoires de la Musique Classique en 2008, il a créé plusieurs festivals ou événements, et, en résidence à Barcelone, a interprété l’intégrale de la musique pour clavecin de Bach. Co-titulaire de l’orgue de Saint-Louis-en-l’île à Paris, il a rencontré avec émerveillement les Variations Goldberg très jeune, en 2006 ; puis les a étudiées, laissées de côté, reprises, transcrites, et apprises par cœur pour mieux en intérioriser toutes les finesses.
Si de nombreux instruments ou genres se sont emparés de ces Variations – orgue, piano (Glenn Gould), accordéon, cordes, symphonique ou jazz -, il n’en reste pas moins que le clavecin à double clavier, pour lequel elles ont été composées en 1740, avec ses croisements de doigts virtuoses, en restitue toute la substantifique moelle. A partir d’une aria composée initialement pour Anna-Magdalena en 1725, elles développent ainsi des nuances rythmiques et harmoniques et une précision technique de contrepoint sans doute inégalables. Benjamin Alard leur offre une pureté d’interprétation qui ne souffre aucun autre commentaire. (G.ad. Photos concert G.ad.)