Beethoven Wars au Grand Théâtre de Provence… Ah ! Quel cinéma !
Samedi 22 mars 2025, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence
Laurence Equilbey, direction musicale ; Ellen Giacone, soprano ; Matthieu Heim, basse
Insula orchestra, Accentus
Antonin Baudry, réalisation ; Arthur Qwak, co-réalisation ; Sandrine Lanno, collaboration artistique
Ludwig van Beethoven (1770-1827) : König Stephan, Die Ruinen von Athen, Leonore Prohaska
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Déjà donné en mai 2024 à la Seine Musicale, lieu de résidence de Laurence Equilbey et son orchestre Insula orchestra, le spectacle Beethoven Wars est particulièrement original. Le projet souhaite en effet rapprocher, voire fusionner, deux domaines a priori éloignés : d’une part l’univers du manga, sous la forme d’un dessin animé, et d’autre part la musique de Beethoven. C’est ainsi qu’un écran géant prend place sur la scène du Grand Théâtre de Provence, l’orchestre étant installé à sa place habituelle, dans une fosse toutefois rehaussée quasiment au niveau des spectateurs des premiers rangs. Comme pour un ciné-concert, la musique est jouée en même temps que passent les images, ménageant par instants de brefs silences supplémentaires où s’intercalent de courtes interventions parlées sortant des haut-parleurs.
Si la projection de départ de ce Beethoven Wars fait directement référence, dans sa typographie et son titre, au célèbre film Star Wars, on passe rapidement dans le monde du manga japonais, un art affectionné depuis de nombreuses années par la jeunesse occidentale. Jeunes et moins jeunes font d’ailleurs salle archipleine ce soir, dans un format de représentation immersif et d’une durée de moins d’une heure. On retrouve à l’écran, les images débordant du reste de part et d’autre du cadre de scène, le graphisme traditionnel et les codes d’un animé (dessin animé japonais) : très peu d’images à la seconde, yeux tout grands ouverts des enfants étonnés, jusqu’aux cicatrices sur le visage du héros Stephan, comme dans les mangas Naruto, Death Note ou encore Bleach.
En suivant à l’écran les voyages intergalactiques et autres combats souvent acharnés, la compréhension de l’intrigue n’est pas toujours immédiate. Chacune de son côté, les armées de Stephan et Athena (Gisèle lorsqu’elle était enfant) sont en route pour la Terre, le premier dans des vaisseaux spatiaux en forme de parallélépipèdes rectangles et la seconde dans des engins en boules comme des mines flottantes. Les deux se livrent d’abord à un combat intersidéral sanglant… mais se souviennent soudain qu’ils jouaient ensemble étant plus jeunes ! Ils font alors la paix et les boules-mines viennent comme se coller avec des ventouses aux parallélépipèdes, pour former un unique vaisseau géant. Tout ce petit monde part à la découverte de la planète bleue, mais l’atmosphère y est irrespirable, Athena mourante est emportée par Stephan, lui-même mal en point et sujet à son tour à hallucinations. Tous sont sauvés, mais il faut renoncer à la vie sur Terre. La fin prend un tour « théâtre dans le théâtre », quand on voit à l’écran la cheffe, les musiciens et choristes s’animer dans une salle nouvellement construite… un message en forme d’optimisme nous suggérant que l’art et la musique sont l’avenir, pacifiste, de l’humanité ?
Il faut dire aussi que ce scénario s’inspire des deux pièces, rarement jouées de Ludwig van Beethoven König Stephan (Le Roi Étienne) et Die Ruinen von Athen (Les Ruines d’Athènes). Ce sont deux œuvres de circonstance composées en 1811 par Beethoven à l’occasion de l’inauguration du nouveau grand théâtre à Pest, aujourd’hui Budapest en Hongrie. Le titre de la première composition fait référence au roi Étienne Ier, fondateur du royaume de Hongrie en l’an 1000.
Sous la direction pleine d’énergie de Laurence Equilbey, on apprécie les sonorités douces et rondes, sans agressivité, de l’orchestre Insula orchestra qui joue sur instruments d’époque. La relation entre son et image relève en général d’une bonne cohérence, comme les passages agités de König Stephan pendant les séquences de batailles, ou à l’inverse les moments plus calmes des Ruinen von Athen qui illustrent l’exploration sous-marine des océans et les baleines qui nagent paisiblement. Les chœurs masculins d’Accentus entrent par la droite, la partie féminine par la gauche, pour des interventions précises. Les deux solistes Ellen Giacone et Matthieu Heim, respectivement soprano et basse, se fondent dans le paysage de neige qui tombe sur les ruines d’Athènes, habillés de drapés gris comme des statues. Entre deux parties des Ruinen von Athen est intercalée la romance de Leonore Prohaska chantée par la soprano à côté de la harpe qui l’accompagne, un moment très délicat.
Il y en a donc pour tous les goûts ce soir : les amateurs de musique classique découvrent pour la plupart ces pièces rares de Beethoven, tandis que les jeunes gens s’en mettent plein les yeux, mais en goûtant dans le même temps à ces partitions… une occasion, on l’espère de revenir découvrir d’autres compositions. La fin de la représentation est sans doute un peu abrupte, ma jeune voisine se demandant à voix haute « C’est fini ? » et les artistes ne donnant aucun bis, malgré le public qui en redemande.
F.J. & I.F. Photos I.F.
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