Carte blanche au Ballet : des univers foisonnants !
Vedène (84), L’Autre Scène.
Quelle chance inestimable d’être l’une des deux villes de France – l’autre étant Metz – dont l’Opéra possède encore un ballet-maison ! Et de surcroît, tonique, talentueux et inventif. Le Ballet de l’Opéra Grand Avignon l’a montré une fois de plus ce samedi soir dans sa « carte blanche ». Depuis plusieurs années, les danseurs ont l’opportunité, selon volontariat, de jouer les chorégraphes, l’espace d’une création. Certains sont des « récidivistes » depuis plusieurs saisons, d’autres se lancent pour la première fois, mais tous jouent le jeu avec intelligence et sensibilité. La cohérence d’ensemble imposée dans les créations du chorégraphe et directeur Eric Belaud, ex-danseur de la maison, vole alors en éclats. Mais cette discipline toute classique, avec collants, voiles et pointes, cette rigueur élégante, tout cela nourrit paradoxalement l’imaginaire et la créativité de chacun des individus. Et le meilleur compliment que l’on puisse adresser au « chef de troupe » est d’avoir su offrir à ses danseurs un esprit libre dans un corps libre.
Et un « esprit maison » de fraternité, qui ne doit pas exclure certains frottements parfois, mais qui se traduit par une réelle collégialité, une saine émulation dénuée de compétitivité, et un véritable bonheur communicatif.
Ce sont trois univers différents et complémentaires, qu’ont offerts successivement les cinq chorégraphes, à un public nombreux, de tous âges et de tous horizons (entrée libre). On a ainsi vu et entendu Azul profundo, chorégraphié par Ari Soto. Une performance très physique, dont je n’ai pas pénétré tous les mystères, qui s’interrogent sur le sens du monde et notre présence. Mais Ari, né à Guadelajara au Mexique, qui a intégré le Ballet de l’Opéra Grand Avignon en 2009 et est devenu soliste en 2011, a déjà présenté sa première chorégraphie en 2012, Tendre indifférence. Son univers est irrigué par le mouvement, la force, la torsion et la rapidité des corps, avec des créations lumière de Philippe Grosperrin tout aussi originales. Autour de musiques orientales, grecques, et quelques courts textes murmurés, les compositions et arrangements de Benjamin Mauzauric compositeur avignonnais, ouvrent encore d’autres possibles, avec en ouverture basse continue – très basse et très continue -, et en clôture comme un cœur battant, sourdement, intensément.
Empreinte(s), ensuite, a signé la première expérience chorégraphique de Bérangère Cassiot – arrivée en 2015 après être passée par Bordeaux puis par la compagnie Julien Lestel de Marseille en 2014 – et Anthony Beignard – un « ancien », un Marseillais repéré par Roland Petit, puis recruté à Avignon en 1999 par Eric Vu An, et qui ne compte plus les rôles du répertoire, ici ou ailleurs. Leur pas de deux s’inscrit dans une ligne classique, épurée mais forte, une histoire d’amour, de désir, de départ, à la fois singulière et universelle. Un entracte permettait à Bérangère de se reposer quelque peu, la seule à participer aux trois créations.
Quant à « Si » il était une fois, cette relecture déjantée de Cendrillon et autres contes, due à Noémie Bontoux et Alexis Traissac – dont c’est la cinquième chorégraphie -, et interprétée par onze des quatorze danseurs, elle a enthousiasmé petits et grands, notamment dans le « tutti » final, endiablé, rocky et jubilatoire. Un Prince charmant plus intéressé par son Smartphone que par la Belle au Bois dormant, une Belle à l’haleine aussi fétide que l’escarpin de Cendrillon, et un petit chaperon Rouge champion de boxe, avec sauts et virevoltes, pirouettes et facéties… C’est frais, bondissant, délicieusement irrévérencieux. Voilà des étoiles et des éclats de rire assurés ! Si ne naissent pas en prime quelques vocations de pointes ou tutus… (G.ad.)