J’ai « croisé » Armida sur un stade !
Armida, Gioachino Rossini (1792-1868). Opéra national de Montpellier. Opéra en trois actes. Durée : 1h10 + 1h15
Livret de Giovanni Schmidt, sur La Jérusalem délivrée du Tasse
Création le 11 novembre 1817 au théâtre San Carlo de NaplesOpéra chanté en italien avec surtitres en français
Michele Gamba, direction musicale. Mariame Clément, mise en scène. Jean-Michel Criqui, reprise de la mise en scèn. Julia Hansen, décors et costumes. Bernd Purkrabek, lumières.Noëlle Gény, chef de chœur
Karine Deshayes, Armida. Enea Scala, Rinaldo. Edoardo Milletti, Gernando/Ubaldo. Dario Schmunck, Goffredo/Carlo. Daniel Grice, Idraote/Astarotte. Mark Van Arsdale, Eustazio
Coproduction Opéra Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon / Opera Vlaanderen
Petite excursion exceptionnelle hors de notre cadre habituel régional Provence-Alpes-Côte-d’Azur, pour une représentation d’Armida à Montpellier.
Le poème épique La Jérusalem délivrée de Torquato Casso dit « le Tasse » a inspiré un grand nombre de musiciens : Lully, Gluck, Monteverdi, Haendel pour ne citer que les plus connus. Rossini sous l’influence du directeur du San Carlo de Naples se verra contraint amicalement de prendre ce même thème. Le livret écrit par Giovanni Schmidt n’eut pas un grand succès, les critiques le trouvant monotone et incolore. Même Stendhal admirateur inconditionnel de Rossini reproche à Schmidt de « laisser languir l’intérêt et de gâter le beau récit du Tasse ». C’est certainement une des raisons pour lesquelles cet opéra n’a pas eu un immense succès mais les mélomanes avides de découvertes sont toujours à l’affût de nouveautés et l’Opéra Comédie de Montpellier a pu jouer à guichet fermé.
Abordons d’abord la mise en scène qui fut loin de faire l’unanimité. A la lecture des intentions de Mariame Clément on pense à une mise en scène construite, équilibrée, mais on déchante très vite : dès que le rideau se lève, les croisés en cotte de maille venus défendre les valeurs chrétiennes font joujou avec une poupée gonflable de façon outrageusement suggestive. Puis vers la fin de l’acte les mêmes croisés se retrouvent en tenue de… footballeurs, où Rinaldo porte le maillot N° 10, numéro des héros gagnants bien sûr. Cette équipe de footballeurs (vétérans !) se partage à nouveau les faveurs de la même poupée gonflable ce qui, somme toute, semble plus dans la mentalité de ces sportifs (l’actualité récente s’en est faite l’écho) mais ceci est bien inutile et nous éloigne de la musique. Parmi les autres incongruités on trouve au même moment sur le plateau des croisés avec leurs épées et un sarrasin avec un fusil mitrailleur si mal imité qu’il n’aurait normalement pas dû faire peur aux valeureux croisés. Oublions Armida qui grimpe sur un cercueil et tâchons d’oublier rapidement cette mise en scène où vulgarité et incohérence dominent.
Le jeune chef Michele Gamba dirige l’orchestre avec fougue et entrain, il laisse parfois s’installer une surpuissance sonore entre la fosse et la scène l’orchestre et les chœurs pouvant couvrir le ou la soliste. Il passe d’une scène à l’autre sans transition, ne laissant pas au public le temps d’apprécier telle aria ou tel duo, mais c’est avec grande conviction qu’il conduit tout son monde. Mis à part un léger flottement après l’entracte, les chœurs bien mis au point par leur chef Noëlle Gény ont donné une belle prestation.
Karine Deshayes enchaîne trilles, triolets, sons piqués ou liés, gammes descendantes ou montantes avec une facilité stupéfiante. Elle vit chaque instant avec passion, le duo d’amour du premier acte : « Amor possente nome » est d’une sensualité extrême, il en est de même pour le « Soavi catene » de l’acte trois. Elle exprime l’art de Rossini à la perfection et peut sans rougir s’inscrire dans les grandes de ce rôle, telle Callas terminant la scène finale magnifique et poignante en furie à la limite de la folie ; elle remplit le plateau alors qu’elle reste seule devant un rideau rouge… Enea Scala est un excellent Rinaldo : dans les octaves inférieurs il donne à sa voix une couleur foncée et pesante, et dans les aigus il fait montre d’une belle agilité quasiment colorature. Excellent partenaire d’Armida dans les duos d’amour précités, il excelle aussi dans le trio des ténors au troisième acte : « In quale aspetto », leur accord faisant de ce passage un grand moment musical. Le ténor Eduardo Milletti est au premier acte un Germando essoufflé dans les graves mais au troisième acte, sa voix dans le rôle d’Ubaldo se marie parfaitement avec celles de ses compères. Dario Schumck lance des aigus très clairs dans les deux rôles de Goffredo et Carlo. Bonnes prestations de Giuseppe Tomaso (Eustazio) ainsi que de l’unique basse Daniel Grice (Idraote et Astarotte). Il en ressort que les solistes ont servi avec brio cette production qui a permis aux inconditionnels de Rossini d’entendre une œuvre assez rarement donnée en raison d’une disproportion entre les trois actes : le premier très mouvementé (duels, enterrement, faits de guerre, déclarations amoureuses), le deuxième consacré à l’amour un peu mièvre et le dernier explosant dans la vengeance et la furie plus dans les arias que dans les actions scéniques. (texte : Duo 84. Photos Marc Ginot)