Un artiste de tout premier plan,… que le public continue à méconnaître : inexplicable !
Mercredi 3 août 2021, 21h, Château de Florans, Auditorium du Parc, La Roque d’Anthéron
Arcadi Volodos. Récital de piano. Festival international de piano de La Roque-d’Anthéron
- Schumann, scènes d’enfants op. 15. F. Schubert, sonate en ré majeur op. 53, D. 850
C’était en 2007 à La Roque-d’Anthéron. J’y étais allé entendre Lugansky, déjà au sommet de la notoriété, et j’avais pris également une place pour Volodos, que je ne connaissais pas spécialement, mais dont le programme m’intéressait. Et c’est Volodos qui me marqua le plus, tant il me parut évident qu’il s’agissait là aussi d’un artiste de premier plan. J’ai pu le réentendre plusieurs fois par la suite, toujours avec plaisir, mais je ne l’avais plus vu depuis 2013. Le revoir cette année était donc pour moi une nécessité et je le retrouvais sur la scène de l’auditorium, égal à lui-même, toujours assis, devant son piano, sur sa chaise à dossier. Mais, fait incompréhensible, eu égard à son niveau de jeu, à la qualité de ses interprétations, à sa fidélité à La Roque-d’Anthéron, il reste méconnu du public, qui, ce soir-là, ne remplissait que la moitié des gradins. Médiatisation insuffisante de son nom, en France du moins ? Discographie discrète ? Public hermétique à son jeu, qui tend plus à l’intériorisation des idées et des sentiments qu’à une brillance superficielle ?
Aux Scènes d’enfants de Monpou, données en 2010, Volodos avait cette fois préféré celles de Schumann. Il s’agit de 13 courtes pièces écrites en 1838 et destinées à sa future épouse, Clara. Schumann lui écrit : « Il faudra te garder des effets, mais te laisser aller à leur grâce toute simple, naturelle et sans apprêts ». C’est ce que réalise Volodos, qui, d’un toucher délicat et clair, tout en intériorité, jouant avec les silences, rend l’atmosphère de ces pièces, qui ne sont pas des descriptifs, mais des impressions ou des souvenirs nostalgiques d’enfance. Ainsi est-on touché par la tendresse de l’Enfant suppliant, la vivacité du Colin-Maillard, la joie du Bonheur parfait, la marche décidée de l’Evènement important, la poésie de la Rêverie, qui s’efface tout doucement, le rythme vigoureux du Cavalier sur le cheval de bois, le Croque-mitaine que le compositeur a fait bien trop sage, la douceur de l’Enfant qui s’endort. Le pianiste a voulu enfin un petit temps de recueillement avant de faire parler le Poète, dernière pièce toute lente, comme en suspension dans l’espace et le temps, avant son extinction.
Parmi l’ensemble de sonates pour piano écrites par Schubert, il n’en a été publié que trois de son vivant, dont cette Sonate en ré majeur D. 850, op.53, datée de 1826. Certains musicologues comptent, dans la production du compositeur, un total de 23 sonates, mais deux étant très fragmentaires, d’autres n’en retiennent que 21. C’est ainsi que la D. 850 peut être désignée sous le n° 17 (sur 21), cas le plus fréquent, mais peut l’être aussi, comme dans le programme de La Roque-d’Anthéron, sous le n° 19 (sur 23). Dans ce même programme, toutefois, la présentation des quatre mouvements nous a quelque peu perturbé. Il y est annoncé, nous ne savons pourquoi : allegro molto moderato en ut mineur, allegro en mi bémol majeur, andante mosso en sol bémol majeur et allegretto en la bémol mineur, alors que toutes les sources consultées, sans exception, annoncent plus logiquement : allegro vivace en ré majeur, con moto en la majeur, allegro vivace (scherzo) en ré majeur et allegro moderato (rondo) en ré majeur.
Cela précisé, Volodos a fait montre là aussi de toute sa technique, de tout son art, tirant les plus belles sonorités de son piano. A la suite de son thème initial en notes répétées et martelées, le premier mouvement, où le rythme domine, exprime joie et vitalité. La dynamique est maîtrisée, l’ensemble décidé et conquérant. Le con moto est plus calme, plus doux, plus retenu, apaisé, intériorisé, marquant les silences, mais laissant aussi échapper des instants de jubilation. On sent l’artiste vraiment habité, inspiré par la musique qu’il joue. Le scherzo est tout aussi inspiré ; Volodos nous en rend toute la beauté, alternant rythme décidé, joyeux et dansant, et moments de rêverie, qui enflent puis se calment avant de revenir au premier thème et ses variations dans son intensité et ses tempi. Le thème introductif du dernier mouvement surprend qui, tout simple, sautillant et léger, semble sortir d’une boîte à musique, puis le rondo se développe, offre ses variations avec grâce et poésie, pour une conclusion tout en douceur.
Le public ne pouvait qu’ovationner cette belle interprétation et le pianiste lui offrir quatre bis, bien dans sa nature, des pièces courtes demandant délicatesse, calme, intériorisation. Se sont ainsi succédé l’Oiseau prophète de Schumann (Scènes de la forêt), le Prélude op.40 n°3 de Liadov, Deux poèmes op. 71 de Scriabine et Musica callada lento de Monpou, pour achever cette belle soirée.
B.D. Photo Valentine Chauvin
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