Saison d’été oblige, on retrouve Anne Queffélec en mini-tournée dans le Sud : Privas (07), La Roque-d’Anthéron (13), Grignan (26), Les Taillades (84)… Rencontre avec une grande dame d’une belle simplicité.
-Anne Queffélec, vous êtes déjà venue bien des fois dans la région de Provence.
-Concernant La Roque-d’Anthéron, j’ai eu la chance de venir depuis un bon nombre d’années. J’ai tissé des rendez-vous avec ce lieu étonnant, où l’on est immergé dans les arbres, sous les étoiles. Mais aussi en bien d’autres lieux : Valence, et aussi dans le cadre du Festival Saoû chante Mozart, ainsi qu’à Etoile, Saint-Péray… et Grignan, pour un récital en saison d’hiver.
-Pour un soliste comme vous, une mini-tournée comme celle que vous entreprenez crée-t-elle des liens particuliers, avec l’orchestre, et avec le public ?
-Sans aucun doute. On a la chance de créer des liens différents. Une sorte de partage, de complicité, s’installe, de façon plus familière, presque solidaire, et c’est particulièrement plaisant. En effet, c’est frustrant pour un soliste, un pianiste, d’être seul. Le piano est un instrument éminemment solitaire, qui se suffit à lui-même puisque, étant un orchestre à lui tout seul, il peut vivre en autarcie. La solitude fait partie de notre pain quotidien. Quand on joue avec un orchestre, on n’arrive que la veille, et on ne joue qu’une fois ensemble ; c’est frustrant, humainement parlant. Au contraire, quand on partage une tournée, on repère des visages dans l’orchestre. Dans Mozart, le dialogue avec les vents est vraiment comme des dialogues d’opéra. En l’occurrence, les concerts qui s’annoncent vont être dirigés par Philippe Bernold que je connais bien ; c’est un musicien, un flûtiste à la base, qui joue très bien Mozart.
-Il mène d’ailleurs, je crois, une double carrière, d’instrumentiste et de chef ; il n’a pas troqué sa flûte contre une baguette.
-J’en suis heureuse pour lui, parce que la flûte est un instrument plus limité, par rapport au piano. On peut vivre plusieurs vies en ne jouant que du piano, on ne risque pas la saturation (rire). Et on croule sous le répertoire.
-Vous allez partager la scène avec l’Orchestre Régional Avignon-Provence. Avez-vous déjà joué avec lui ?
-J’ai déjà joué avec l’Orchestre d’Avignon, mais c’était il y a quelques années, je n’oserais pas affirmer que ce sont les mêmes : on connaît les visages, pas les noms. Cette fois-ci c’est une petite formation. Mais avec le jeu des supplémentaires, et des invités, et des sollicitations diverses pour les uns et les autres, ce ne sont peut-être pas tous les mêmes.
-Vous allez interpréter un célébrissime concerto de Mozart.
-(Un temps) Il devrait être encore plus célébrissime, mais peu de pianistes l’inscrivent à leur répertoire. C’est un trésor de beauté, et c’est une énigme dans la composition mozartienne. Mozart a écrit ce concerto tout jeune, il avait à peine 20 ans, pour une jeune pianiste française qui s’appelait d’ailleurs Jeunehommé et non Jeunehomme : on ne sait pas grand-chose, mais elle lui a sans doute fait battre le cœur. Ce concerto qu’il lui a écrit – c’était une excellente interprète – est l’équivalent des plus grands concertos qui viendront plus tard. Il est unique dans cette époque de la vie de Mozart ; sidérant, avec la marque des grands génies, et une liberté d’écriture comparable à ses plus grands concertos. C’est le propre des génies comme Mozart ou Schubert, des génies précoces : on sent que, même tout jeunes, ils sont déjà pleinement eux-mêmes. Ce concerto est très émouvant, surtout le 2e mouvement, dans lequel on trouve presque l’expérience de la douleur, c’est prenant. Mozart dans ce 2 mouvement a écrit plusieurs cadences ; vous savez, c’est ce moment où le musicien a le droit de jouer seul sans que l’orchestre s’en mêle (sourire) ; le compositeur donne à son interprète le droit de choisir entre plusieurs cadences.
-Maintenant, si vous permettez, j’aimerais vous poser une question personnelle. Si vous n’aviez pas été pianiste de talent, qu’auriez-vous aimé être ou faire ?
-Bien sûr, j’aurais aimé aussi autre chose. J’ai eu la chance d’être élevée dans une famille où la littérature était reine, où les valeurs de l’esprit et de l’art en général étaient en haute estime. Cet amour m’a été infusé depuis ma plus tendre enfance, j’ai toujours été fascinée par le pouvoir des mots. Mais avec un père écrivain, pour moi c’est une démarche plus modeste.
-Je crois que vous écrivez tout de même ?
-J’écris pour moi, ou bien de petits textes quand on me le demande : par exemple sur la grâce en musique, sur le voyage… Quand on me propose ce type d’exercice, je bondis ; il est toujours agréable de pouvoir clarifier sa pensée. Car le métier du musicien est un métier mystérieux, qui a une place privilégiée sur cette planète. Il a un rôle nourrissant, pour l’esprit, pour l’âme, car on est en contact avec la beauté au quotidien, et on a un devoir de transmission. Et il faut également remercier le public. Alors qu’on a de plus en plus de raisons de rester chez soi, bien tranquillement devant ses écrans, il y a encore des gens qui pensent qu’il est important de partager ensemble un moment autour de la musique. Comprendre que la vie est première, et qu’elle n’est pas virtuelle. ON a une sensation de spiritualité, de fraternité, et de plus en plus, me semble-t-il. Vivre ce moment ensemble est irremplaçable. L’existence même de la musique est une énigme. Elle est indicible, au-delà des mots, et pourtant on se retrouve en elle. (propos recueillis par G.ad., juillet 2017. Photo Caroline Doutre).