El Bacha reste le « chouchou » des festivaliers… à juste titre
Lundi 18 juillet 2022, 20h, Festival International de Piano de La Roque d’Anthéron
Orchestre Philharmonique de Marseille
Kaspar Zehnder, direction
Abdel Rahman El Bacha, piano
Maurice Ravel, Ma mère l’Oye. Maurice Ravel, Concerto pour piano et orchestre en sol majeur. Maurice Ravel, Concerto pour la main gauche et orchestre en ré majeur
Voir aussi notre entretien en amont du récital, et la présentation générale du festival
Ce lundi 18 juillet voyait donc le début de la 42ème édition du Festival International de Piano de La Roque-d’Anthéron, et – désolé – je commencerai par exprimer d’abord quelques contrariétés ? Plus de photos du concert à la vente, plus de libraire, plus d’entracte permettant de profiter un peu plus de la soirée et du cadre des Florans. Pourquoi ? Pourquoi encore avoir programmé un tel concert à 20h, au moment où la symphonie des cigales bat son plein ? On a beau arriver à en faire abstraction, mais l’écoute est plus agréable, un peu plus tard, lorsqu’elles commencent à se calmer. Et surtout, pourquoi avoir scindé Ma mère l’Oye en deux en intercalant le concerto en sol entre la 5ème et la 6ème pièce, interrompant ainsi l’unité et le charme de l’œuvre ? Le souci était-il d’éviter que deux concertos, bien différents, il est vrai, se succèdent ? Il y avait d’autres solutions.
Ravel et Abdel Rahman El Bacha étaient donc les vedettes de cette première soirée, avec le Philharmonique de Marseille et son chef invité, le Suisse Kaspar Zehnder, directeur artistique de l’Orchestre symphonique de Bienne-Soleure et musical du Philharmonique de Hradec Kràlové (Tchéquie). Plusieurs places restaient inoccupées dans les gradins. Peut-être l’œuvre de Ravel, occultée par son Boléro, reste-t-elle trop méconnue et le compositeur manque-t-il encore de « fans ». En tout cas, El Bacha reste bien, lui, le « chouchou » des festivaliers, si l’on en juge par les ovations finales. Je ne puis m’épargner ici de me souvenir encore du premier récital où je l’entendis, c’était en 1977, à Vannes (Morbihan), il avait 19 ans, mais je ne le revis que 27 ans plus tard, en 2004, à l’opéra d’Avignon, pour une intégrale Chopin, impressionnante ; et depuis, régulièrement, toujours avec plaisir à La Roque, tant sa personnalité est attachante.
Mais revenons à Ma mère l’Oye. L’œuvre est issue des cinq pièces enfantines pour piano à quatre mains conçues en 1908-1910, orchestrées et complétées pour en faire un ballet (créé en 1912). Le programme nous proposait, malheureusement en deux parties, nous l’avons dit, les huit pièces qui la constituent, données par un chef et un orchestre les maîtrisant parfaitement, sachant nous introduire, avec toutes les nuances voulues, dans ce monde féérique et mystérieux des contes de l’enfance, dans cette atmosphère qui nous a séduits tout au long de l’œuvre. Ainsi voit-on tourner le Rouet, entend-on la tendresse de la pavane de la Belle au bois dormant et la Belle s’entretenir avec la Bête et se sent-on perdu dans la forêt, au milieu des chants d’oiseaux, avec le Petit Poucet. On sourit de Laideronnette et ses chinoiseries et ce crescendo final qui élève vers la lumière le Jardin féérique, trop court à mon goût, tant on souhaiterait qu’il se prolongeât, demeure irrésistible.
Les deux concertos sont plus tardifs et contemporains (1931). Fidèle à lui-même, El Bacha les a interprétés, par cœur, bien sûr, tout en élégance, sur son Bechstein, le piano qu’il préfère, offrant au public sa maîtrise des œuvres et de l’instrument, tour à tour tendre, délicat, virtuose, selon les exigences, et toujours accompagné d’un orchestre convaincant, auquel on pardonnera une ou deux petites faiblesses aux cors ou aux flûtes, mené par un chef à la gestuelle sobre, claire et précise.
Les deux mouvements exubérants du concerto en sol furent conduits avec dynamisme et jubilation. Le mouvement central, le long adagio assai, le plus célèbre de l’œuvre, attend du pianiste, mais aussi de l’orchestre, délicatesse, sensibilité et intériorité. Les interprètes s’y sont attelés, mais nous ont laissé un peu sur notre faim, du fait, tant au piano qu’à l’orchestre, de sons trop détachés, manquant quelque peu de liant et de cette réverbération propre à envelopper l’auditeur. Problème du plein air, de l’air particulièrement chaud et sec du moment ? Il est certain que dans une salle fermée le rendu eût été meilleur.
Le concerto pour la main gauche, bien venu, car trop peu proposé dans les programmes, écrit pour le pianiste autrichien Paul Wittgenstein, qui perdit le bras droit durant la grande guerre, plus sombre, a mieux rendu, le pianiste donnant avec aisance l’illusion des deux mains. On en retiendra en particulier l’allegro entraînant, au rythme de marche entêtant (et envoûtant), en regrettant au passage un forte couvrant le piano, et la cadence du final, parfaitement maîtrisée.
Au public ravi, Abdel Rahman El Bacha offrit deux bis, Les oiseaux tristes, des Miroirs de Maurice Ravel et la Nouvelle Etude en la bémol majeur de Frédéric Chopin.
B.D.
Baychere Dany dit
Bel article auquel je souscris totalement!