Wozzeck, une entrée réussie au Festival d’Aix-en-Provence
Wozzeck, opéra d’Alban Berg, au Grand Théâtre de Provence (11 juillet 2023). Festival international d’art lyrique d’Aix-en-Provence
Direction musicale, Sir Simon Rattle. Mise en scène, Simon McBurney. Scénographie, Miriam Buether. Costumes, Christina Cunningham. Lumière, Paul Anderson. Chorégraphie, collaboration à la mise en scène, Leah Hausman. Vidéo, Will Duke. Dramaturgie, Gerard McBurney. Collaboration à la mise en scène, Sasha Milavic-Davies
Christian Gerhaher (Wozzeck). Malin Byström (Marie). Thomas Blondelle, (Tambourmajor). Brindley Sherratt (Doktor). Peter Hoare (Hauptmann, Der Narr). Robert Lewis (Andres). Héloïse Mas (Margret). Matthieu Toulouse (1.Handwerksbursch). Tomasz Kumięga (2.Handwerksbursch). Lenny Bardet (Mariens Knabe). Danila Frantou (Ein Soldat)
London Symphony Orchestra. Estonian Philharmonic Chamber Choir
Lodewijk van der Ree, Chef de chœur
La troisième tentative est la bonne ! Après deux projets avortés, en 2003 en raison de la grève des intermittents du spectacle qui mena à l’annulation de l’édition, puis en 2020 pour cause de crise sanitaire COVID, Wozzeck d’Alban Berg fait son entrée au répertoire du Festival d’Aix-en-Provence. Ceci pour un succès complet, musical, vocal et visuel. La musique d’abord est un véritable enchantement, dirigée par Sir Simon Rattle qui adore – à juste titre ! – cette partition et qui est placé aux commandes d’un somptueux London Symphony Orchestra. Il s’agit d’ailleurs des derniers concerts du chef britannique en tant que directeur musical de la formation, puisqu’il prend les rênes de l’Orchestre symphonique de la Radiodiffusion bavaroise (Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks) à partir de la saison 2023-2024. Les pupitres de cordes sont envoûtants, les bois et cuivres sonnent merveilleusement, jusqu’aux percussions d’une précision diabolique. L’interprétation également est un régal, dessinant des contrastes en parfaite adéquation aux situations de l’intrigue, osant par endroits certaines impressionnantes nuances, comme ces attaques splendides des contrebasses.
Le plateau vocal fait lui aussi honneur à la qualité musicale produite par la phalange londonienne. En tête, le baryton allemand Christian Gerhaher qui incarne un Wozzeck terriblement humain, semblant porter sur ses épaules tout le poids des malheurs du monde. La voix est riche et égale en qualité sur toute l’étendue, d’une appréciable expressivité. Dans le rôle de sa maîtresse Marie, la soprano suédoise Malin Byström fait entendre un timbre sombre dans la partie grave, qui contraste avec des aigus puissants lancés comme des flèches. Thomas Blondelle en Tambour-major n’est pas non plus avare d’aigus, caractérisant au mieux son personnage cynique et agressif. Autres ténors aussi très généreux dans le registre aigu, Peter Hoare, qui cumule les deux rôles du Capitaine et de l’idiot, et Robert Lewis (Andres) sont bien en place, avec un supplément de mordant et de vaillance pour ce dernier. La basse Brindley Sherratt compose quant à lui un très inquiétant Docteur aux graves profonds, quand il reçoit Wozzeck dans son cabinet, aux côtés de ses deux assistants. La mezzo Héloïse Mas – qui avait chanté la Carmen de Jean-Louis Grinda cette saison à Marseille – en Margret possède également un splendide instrument, bien mis en valeur au cours de ses interventions.
Pour sa troisième venue au festival, après Die Zauberflöte en 2014, puis The Rake’s Progress en 2017, l’acteur et metteur en scène britannique Simon McBurney réalise un spectacle d’une intense densité théâtrale, servi par une machinerie d’une implacable efficacité. Composé d’un disque central et de deux anneaux concentriques, le dispositif de plateau tournant permet des mouvements très divers pour les solistes et choristes, pouvant se déplacer à l’accéléré comme sur un tapis roulant, ou, au contraire, faire du surplace comme Wozzeck qui marche parfois sans avancer. Wozzeck est ici un soldat en uniforme et casque, parmi les siens, avec les tons de gris et noir qui dominent. La scène est entourée de trois hautes parois sombres, qui accueillent par séquences des images filmées en direct, ou à d’autres instants, forment des murs d’immeubles dans lesquelles s’ouvrent des fenêtres. Au centre du plateau, une porte sur son chambranle qu’on ouvre pour entrer dans la demeure de Wozzeck, le cabinet du Docteur, ou encore la taverne du troisième acte. Des troncs projetés et autres branches tenues en mains figurent astucieusement la forêt de la deuxième scène, tandis que la fumée baigne le sol comme une brume. La fin de l’opéra est particulièrement douloureuse : Wozzeck, parti rechercher le couteau avec lequel il a tué Marie, va se noyer dans l’étang, mais un peu plus tard que dans les mises en scène habituelles. Il s’enfonce ici comme dans des sables mouvants, mais garde le tronc hors de l’eau, ceci jusqu’après le départ du Capitaine et du Docteur. C’est alors que son petit garçon passe tout près de lui, sans le voir, ni pouvoir lui venir en aide, tandis que le cadavre de sa mère gît à l’arrière. On rejoint en effet la pièce de Georg Büchner, lorsqu’on donne à l’enfant la nouvelle de la mort de ses parents, mais que celui-ci continue à jouer sans véritablement prendre conscience du drame. Une magnifique représentation accueillie par des applaudissements nourris de la part des spectateurs comblés.
I.F Photos Monika Rittershaus
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