D’autres voies que l’occupation ? Quatre directeurs de théâtres avignonnais nous répondent…
Devant la fermeture persistante, et injuste, des lieux culturels, quelles voies possibles ?
Comme en mai 1968, l’Odéon a donné le ton. Ont suivi plus d’une soixantaine de théâtres en France, et la liste ne cesse de s’allonger.
Les revendications sont connues, et l’on comprend que les artistes, privés de scènes depuis un an pour certains, soient amers voire révoltés de voir les supermarchés bondés, les quais de Seine noirs de monde, les plages insouciantes et les trains pris d’assaut en ce dernier jour avant « restrictions », vendredi 19 mars 2021.
A Avignon plus qu’ailleurs, le théâtre c’est la vie.
Le Chêne Noir est occupé, et revendique haut et fort depuis plusieurs jours l’occupation, avec une volonté de tenir dans la durée. Julien Gelas s’inscrit ainsi dans les pas de son père Gérard Gelas.
Le Chêne Noir demeure occupé, mais d’autres théâtres permanents, aussi mobilisés, envisagent d’autres voies d’action.
Serge Barbuscia (ici dans J’ai soif, photo G.ad.), a toujours préféré, par tempérament et par choix, la conciliation. Il souligne parler ici en son nom propre de directeur du Balcon et non en porte-parole des Scènes d’Avignon, dont il est président. « Nous ne sommes pas une structure publique, donc pas en première ligne même si nous sommes totalement solidaires de tous les acteurs culturels. Nous lançons tous un appel à la mobilisation, mais nous ne sommes pas tous d’accord sur les actions à mener. Mais la période est complexe, préoccupante, et nous nous percevons comme des laissés pour compte. Nous n’avons aucune intention de désobéissance ; nous attendons une réponse claire du gouvernement, avec des directives qui ne viennent pas ». Les lieux culturels seraient-ils dangereux ? « Evidemment non, on le sait bien. Nous avons tous les moyens pour respecter toutes les contraintes sanitaires, et nous sommes prêts à rouvrir dès que nous en aurons l’autorisation ». Et en attendant ? « En attendant nous écrivons tous les scénarios pour rouvrir tous les festivals ; malgré l’incertitude nous prévoyons pour 2021 de jouer notre Tango Neruda qui a eu tant de succès, et que nous avons encore retravaillé, et nous pré-répétons par ailleurs notre future création pour janvier 2022, Petits boulots pour vieux clowns de Matéi Visniec ». Peut-on être raisonnablement optimistes ? « Si notre activité s’arrêtait, ce serai pire que la Covid. Notre raison d’être des artistes est de donner un peu d’espoir aux gens On ne peut pas priver d’espoir tout un peuple L’addition d’un désespoir et de la pandémie, est terrible ». Existe-t-il quelques ouvertures ? « Cécile Helle, la maire d’Avignon, doit rencontrer la Ministre de la Culture avec le maire de Bourges. Chaque jour qui passe, marche contre nous. Alors se met en place l’idée d’un grand rassemblement national le 25 ou le 27 mars ».
Pour Anne Cabarbaye, qui dirige avec Alexandre Monge le théâtre Artéphile, la situation est différente. « Une occupation pendant une résidence, c’est carrément non ». Car, fermé au public, le lieu n’a jamais cessé d’être ouvert aux compagnies en résidence, qui continuent à travailler, à répéter et créer, en vue d’une réouverture que chacun appelle de ses vœux. Pessimiste « en espérant avoir tort », Anne craint que la patience imposée ne débouche sur des fermetures. « A notre connaissance, il n’y a pas d’action de groupe pour l’instant. Nous sommes en lien avec Sébastien Benedetto (responsable du théâtre des Carmes, l’une des 5 scènes « historiques » d’Avignon, NDLR), mais pour l’instant (lundi 15 mars) nous n’avons pas encore envisagé d’action commune ». Quant à Alexandre, parti ces jours-ci en Nouvelle Aquitaine, il « continue à travailler dans l’ombre ».
Porte close aussi sur la place des Etudes pour le théâtre de l’Etincelle qui accueille habituellement spectacles, cours, conférences et ateliers divers. « Nous n’avons pas été contactés par le Chêne Noir, dit Claudie Lemonnier (photo G.ad.) ; à ma connaissance il n’y a pas eu de concertation. Nous sommes, comme chacun, dans l’attente des directives gouvernementales de reprise et surtout de l’annonce concernant le Off ». Elle se préparait à la conférence de presse de la Fédération des Théâtres Indépendants, qui réunit théâtres permanents et saisonniers, sous le mot d’ordre terrible de « Etat d’Urgence : pourquoi le Off 2021 n’aura (sûrement) pas lieu… si rien n’est fait pour le sauver ! »
Quant à Stéphane Roux (photo Philippe Hanula), qui a repris après une parenthèse de quelques (longs) mois, le théâtre des Vents auquel il avait su donner auparavant une belle impulsion, il se trouve dans une situation financière et artistique difficile. « Comme j’ai repris le 1er juillet 2020, je ne peux prétendre aux aides de l’Etat, n’étant pas exploitant en 2019. Et pourtant j’ai un loyer mensuel de 2.500€. Et artistiquement je ne peux pas me résoudre à baisser les bras ». Alors, quelle solution ? Si un théâtre ne peut s’ouvrir au public, une association, elle, peut accueillir ses membres. C’est ainsi que l’association du théâtre des Vents (10€ l’adhésion), créée en décembre, compte déjà 52 adhérents, et « a bon espoir d’atteindre 250-300 d’ici le 2 avril, avec possibilité d’adhérer en ligne ». Il y a même un sympathisant, ex-festivalier qui, connaissant le lieu, a adhéré de Pologne !
Stéphane Roux a ainsi imaginé « une autre forme de résistance par un autre modèle économique ».
Et surtout, pour ce promoteur historique du Printemps des poètes, co-fondateur de la compagnie Un peu de poésie, c’est un espoir artistique. Du 20 mars au 2 avril, le théâtre des Vents dans le respect des consignes sanitaires s’ouvre à des résidences, à des spectacles en cours de création, et les adhérents participent au processus d’élaboration. Se succèdent ainsi le prochain spectacle de Stéphane Roux, Ilea, puis le prochain seul-en-scène de son fidèle partenaire Francis Lalanne, Les fables de ma fontaine, puis des clowns, et diverses propositions, dont des ébauches pour le Festival (si du moins…) ainsi qu’un rendez-vous quotidien à 16h40, « avec ce qu’on aura travaillé dans la journée ». « Je veux aussi installer un rendez-vous récurrent, l’Agora, à 10h30 chaque dernier samedi du mois, un échange à bâtons rompus sur une question donnée ; nous l’avions déjà fait, les gens viennent de tous horizons, et cela donne lieu à des échanges d’une grande richesse ». Théâtre des Vents (49 places pleine jauge). Tout le programme sur le site ; comptes rendus, photos et compléments sur la page Facebook.
G.ad.
Laisser un commentaire