Un Pelléas et Mélisande intimiste, qu’il ne fallait manquer sous aucun prétexte !
Pelléas et Mélisande, opéra de Claude Debussy (1898). Toulon, théâtre Le Liberté. Châteauvallon-Liberté. Samedi 15 janvier 2022
Mise en scène, Moshe Leiser et Patrice Caurier. Piano, Martin Surot
Jean-Christophe Lanièce, Pelléas. Marthe Davost, Mélisande. Halidou Nombre, Golaud. Cyril Costanzo, Arkel. Marie-Andrée Bouchard Lesieur, Geneviève. Cécile Madelin, Yniold
C’est une rareté que nous proposait samedi soir le théâtre Le Liberté de Toulon, la version piano-chant du chef-d’œuvre lyrique de Claude Debussy. Celle-ci avait d’ailleurs été réalisée par le compositeur lui-même et n’est donc pas issue d’une réduction de l’orchestration complète vers le piano seul.
C’est aussi un soir de première à Toulon pour ce projet dont la Fondation Royaumont assure la production déléguée, en coproduction avec plusieurs scènes hexagonales. Le projet a fait appel à deux très grands noms de la mise en scène d’opéra, Moshe Leiser et Patrice Caurier, qui sont loin de disposer des mêmes moyens que lorsqu’ils travaillent pour les plus grandes maisons ou les festivals les plus courus. Mais c’est en fait le but recherché, la réalisation devant pouvoir être accueillie facilement dans des théâtres où l’on ne représente pas habituellement de grosses productions lyriques.
Et c’est le cas ce soir au Liberté de Toulon, avec une scénographie réduite à l’essentiel : le piano à gauche, un canapé à droite et deux fauteuils, devant une paroi de bois en contre-plaqué qui a le grand mérite de favoriser l’acoustique naturelle du piano et des solistes. Une porte centrale dans ce mur boisé permet quelques entrées et sorties, comme celle d’Arkel sur son fauteuil roulant, celui-ci étant utilisé par Mélisande malade à l’acte 5, au lieu du lit habituel. Mais les lieux et situations sont habilement suggérés, comme lorsque Mélisande peigne ses cheveux au début de l’acte 3 (« Mes longs cheveux descendent jusqu’au seuil de la tour »), allongée sur le piano. Ou bien quand on retourne le canapé, dossier face au public, et que Pelléas et Mélisande se penchent vers les spectateurs pour apercevoir l’eau dans la fontaine.
Il faut ensuite tirer un coup de chapeau au pianiste Martin Surot qui installe, dès les premières mesures, l’atmosphère à la fois belle et étrange, menaçante aussi, de l’opéra de Debussy. L’auditeur goûte ainsi avec une plus grande proximité à sa musique, l’interprétation au piano ne relevant en aucune manière d’une quelconque pauvreté par rapport à la version pour orchestre. Le petit volume musical facilite également la tâche des solistes qui soignent la prononciation du texte, élément absolument essentiel dans cette pièce.
La distribution vocale est composée de jeunes chanteurs, en début de carrière mais déjà très talentueux. En Pelléas, les graves sereinement timbrés de Jean-Christophe Lanièce le classent sans grand doute dans la catégorie des barytons, mais il assure sans problème les extensions vers le registre aigu de la partition, à rattacher plutôt à une tessiture de ténor. La Mélisande de Marthe Davost est bien la femme fragile et sensible qu’on se figure dans l’intrigue, la diction est appliquée et l’instrument homogène. Les moyens d’Halidou Nombre (Golaud) sont certes conséquents, mais la voix manque d’un peu de graves pour le rôle et certaines fragilités dans le soutien perturbent parfois la musicalité et la ligne de chant. Aucun problème de graves en revanche pour Cyril Costanzo (Arkel), dont certaines notes d’outre-tombe nous font oublier son jeune âge pour incarner le vieux Arkel. Malgré les – trop – courtes interventions du rôle de Geneviève, on se régale du timbre absolument magnifique de Marie-Andrée Bouchard Lesieur, registre aigu solidement projeté et graves délicieux, entre mezzo et contralto avec il est vrai diverses notes davantage parlées, mais somptueuses… une chanteuse à suivre assurément ! L’équipe est complétée par Cécile Madelin en Yniold, très crédible en jeune garçon écoutant sa musique, casque plaqué sur les oreilles. Arkel prend à son compte les rares mesures du Berger, tandis que nous n’avons pas entendu – sauf erreur ! – celles du Médecin au dernier acte dans cette version.
Peut-être le spectacle repassera-t-il dans notre région : programmation à surveiller au-delà de 2022…
F.J. Photos I.F.
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