Marseille Concerts, Basilique du Sacré-Cœur, le mercredi 9 juin 2022
Bruno de Sá, sopraniste ; Emmanuel Arakélian, orgue
Scarlatti, Bach, Haendel, Mozart
C’est bien d’une « voix céleste » qu’il s’agit ce soir dans la basilique du Sacré-Cœur à Marseille, avec la plus aiguë possible dans la catégorie masculine, celle du sopraniste brésilien Bruno de Sá. Et nous sommes chanceux, puisque la soirée donnée dans le cadre de la saison de Marseille Concerts a bien failli ne pas avoir lieu, l’organiste prévu Gerd Amelung ayant été déclaré positif au Covid-19 la veille. Les organisateurs ont relevé le défi de trouver en 24 heures la perle rare pour le remplacer, soit Emmanuel Arakélian, organiste titulaire de la Basilique du Couvent Royal de Saint-Maximin la Sainte-Baume, et par ailleurs professeur au Conservatoire à rayonnement Régional de Marseille. Emmanuel Arakélian a d’ailleurs donné, cette saison, un récital dans le cadre des Amis de l’Orgue de Saint-Martial à Avignon.
Mis à part un extrait du Primo omicidio de Scarlatti inscrit au programme mais non interprété, les deux artistes jouent l’intégralité des morceaux préparés et répétés… par un autre organiste ! Cette situation peu ordinaire génère tout de même d’infimes décalages de rythme entre le chanteur et le musicien dans le premier extrait de Scarlatti (Vespro di Santa Cecilia) qui semblent dérégler la parfaite intonation vocale. On entend cependant d’emblée un extrême aigu unique, une agilité remarquable dans les passages virtuoses, ainsi qu’un style élégiaque enchanteur sur les douces séquences, des aigus qui planent et une science accomplie du trille.
« Blute nur, du liebes Hertz » de la Passion selon saint Matthieu de Bach fait entendre une large projection des aigus et suraigus, contrastant avec une puissance moindre dans la moitié inférieure du registre, et à vrai dire plus habituelle en terme de volume. Les deux passages de Händel qui suivent – extrait du Messiah, puis « Gloria in excelsis Deo » – sont l’occasion de développer tour à tour un timbre angélique, puis, dans le deuxième morceau, plusieurs alternances entre passages rapides et lents. Les séquences virtuoses sont plus précisément des suites de vocalises ou de notes longuement tenues sur le souffle, les folles ascensions vers les suraigus rivalisant sans problème avec un soprano de sexe féminin.
Quelques passages uniquement instrumentaux, ouverture de Zadock the Priest de Händel et une pièce en sol majeur de Bach, donnent l’occasion au chanteur de reprendre des forces et à Emmanuel Arakélian de démontrer sa totale maîtrise de l’instrument : vélocité d’exécution des passages à grande vitesse, grandeur de l’orgue rendue par des accords plaqués généreusement, large spectre des registres utilisés… et jeu de jambes impressionnant sur le pédalier, un vrai sport complet !
L’intensité s’élève encore davantage après l’entracte, d’abord dans un Scarlatti (La Santissima Annunziata) qui est une merveille de musicalité et de sensibilité. Après une Passacaille de Bach et son final à plein tube, le dernier morceau du programme est un habituel cheval de bataille des sopranos, l’Exsultate, Jubilate de Mozart. L’intonation est à présent impeccable, la ligne de chant très élégante et un soin supplémentaire est apporté à l’articulation du texte.
e bis accordé nous fait à nouveau décoller en altitude, l’air « Pure del cielo » tiré du Trionfo del Tempo e del Disinganno. Celui-ci est chanté par Bellezza dans l’oratorio de Händel, distribué habituellement à une soprano. Le rôle était par exemple tenu par Sabine Devieilhe au festival d’Aix-en-Provence à l’été 2016… et y a-t-il voix plus aiguë aujourd’hui que celle de notre soprano française ? Eh bien Bruno de Sá s’avère un sérieux rival en termes de musicalité et de tessiture, une voix stratosphérique qui fait passer l’émotion, très bien accompagné de surcroît à l’orgue ce soir.
F.J. Photos I.F.
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