Saisissant et douloureux
L’Apocalypse arabe, création mondiale de Samir Odeh-Tamimi, à Luma Arles, Grande Halle du Parc des Ateliers (05-07-2021)
Direction musicale, Ilan Volko. Mise en espace, Pierre Audi. Décors et lumière, Urs Schönebaum. Costumes, Wojciech Dziedzic. Vidéo, Chris Kondek. Dramaturge, Klaus Bertisch
Le Chœur : Camille Allérat, Pauline Sikirdji, Fiona McGown, Camille Merckx, Helena Rasker. Le Témoin : Thomas Oliemans
Orchestre : Ensemble Modern
En 2015, Pierre Audi commandait au compositeur Samir Odeh-Tamimi (né en 1970) une courte partition de cinq minutes, à intercaler entre les deux parties de la Passion selon Saint-Jean, que ce premier mettait en scène à Bruxelles. Le texte était tiré du recueil L’Apocalypse arabe, conçu en 1975 par la peintre et poétesse Etel Adnan à propos de la guerre civile au Liban. Le metteur en scène franco-libanais Pierre Audi, qui nourrit, depuis son adolescence passée au Liban, un rapport intime à la poésie d’Etel Adnan, est devenu depuis lors le directeur du festival d’Aix-en-Provence et il a souhaité donner sa pleine expansion à la partition.
C’est ainsi qu’environ la moitié des 59 poèmes du cycle original sont repris dans le livret mis au point par Claudia Pérez Iñesta et le compositeur lui-même, pour constituer une œuvre de théâtre musical d’une durée d’une heure et vingt minutes. Le festival d’Aix-en-Provence s’est délocalisé pour cette création mondiale au nouveau centre culturel LUMA à Arles, dans la Grande Halle du Parc des Ateliers. Ce vaste bâtiment a été vidé de ses équipements et conserve l’apparence de son passé industriel, en particulier sa charpente de poteaux, poutres et nombreux rivets métalliques. Pour cette œuvre singulière, le public se répartit devant et derrière un orchestre de 15 musiciens, tandis que quatre podiums sont disposés sur les quatre côtés bordant l’auditoire.
Tous les instrumentistes sont sonorisés et il en est également ainsi des solistes : cinq femmes de noir vêtues qui forment le Chœur et le personnage du Témoin, incarné par le baryton hollandais Thomas Oliemans. Des vidéos sont projetées sur un écran suspendu au plafond, la représentation commençant par des extraits d’entretiens avec Etel Adnan (née en 1925), lourds de tristesse et de pessimisme : « le Moyen-Orient a atteint son potentiel de désastre » ou encore « Nous n’allons pas guérir de cette peur, c’est une peur planétaire ». Le spectateur passe en effet rapidement dans le désastre et l’apocalypse, dont l’actualité ces dernières années nous a montré qu’ils ne sont pas circonscrits au seul Liban.
Pendant que les images de guerre, de bombardements, de camps de réfugiés défilent au plafond, les cinq femmes aux allures de veuves défilent, tournent dans la salle et parlent plus qu’elles ne chantent un texte où le soleil revient en leitmotiv. Le soleil, un astre qui donne la vie mais aussi la mort, est qualifié de nombreux adjectifs et mis sous toutes les couleurs, dans le texte et sur l’un des podiums où un disque rouge, couleur sang, prédomine.
Dans le rôle du Témoin, un personnage « à hauteur de vue d’homme », Thomas Oliemans est extrêmement sollicité, là encore davantage dans le registre parlé que véritablement dans le chant, courant, haletant, se donnant pleinement au drame mis en espace par Pierre Audi. La musique, dirigée par Ilan Volkov, est à l’image de cette catastrophe en cours. Elle oscille entre de petits bruitages inquiétants, avec ajout de musique enregistrée, et de récurrentes montées de tutti orchestraux, dont certaines d’une violence immédiate, comme un concert de klaxons où les cuivres jouent à fond. Le procédé est sans doute un peu répétitif, mais le public ne peut échapper à la violence qui se déroule sous ses yeux et dans ses oreilles.
On voudrait croire au dernier mot du livret « paix » (« dans la nuit dans la nuit nous trouverons le savoir l’amour et la paix »), mais ce n’est pas le sentiment dominant au sortir de ce spectacle, en ayant vu défiler en dernière séquence les cinq femmes en deuil, portant chacune un linge noir dans les bras, comme un corps d’enfant.
I.F. Photos Ruth Walz
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