« Que ceux qui pleurent sèchent leurs yeux »
Avignon – Palais des Papes – Grand Tinel. Samedi 16 novembre 2019, 20h30
Haute Ecole de musique de Genève. Direction : David CHAPPUIS
Anne DELAFOSSE, soprano. Baptiste ROMAIN, violon. Olivier BETTENS, récitant
Avec la participation de la Schola Cantorum Basiliensis, de la Haute École de Musique de Genève et du Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon.
Mots et musiques autour de Philippe de VITRY
Après Jean Tubéry et son ensemble La Fenice à la Métropole ND-des-Doms, Musique Baroque en Avignon accueille dans un autre haut-lieu patrimonial, le prestigieux Grand Tinel du Palais des papes, un concert (en co-réalisation avec Avignon-Tourisme et l’Opéra Grand Avignon) de la musique du temps des papes dans les lieux mêmes de leur création. La barre très haut…
On s’habitue à l’excellence.
Depuis sa création il y a tout juste 20 ans, Musique Baroque en Avignon (alors Festival de musique ancienne Avignon-Vaucluse) ne cesse de marier répertoire musical et patrimoine architectural. Une évidence au sein d’une ville aux quelque cente soixante monuments classés M.H.
Mais depuis quelques années un virage a été pris. Nouveau nom, nouvelle forme (le festival d’automne est devenu saison entière), puis tout récemment nouveau logo. Un vrai rajeunissement, tout en maintenant les fondamentaux.
Le partenariat avec Avignon-Tourisme, aux côtés de l’Opéra Grand Avignon, a ouvert de nouvelles perspectives, donnant à la musique ancienne et baroque une tout autre envergure. Et un écrin de choix, le Palais des papes. Faire entendre, souvent en début de saison, les musiques d’il y a sept siècles dans les lieux mêmes de leur création, est donc devenu depuis trois ans une formidable ambition, et qui tient ses promesses, grâce aux artistes les plus prestigieux en ce domaine.
Après Diabolus in musica en 2016, en 2017 le duo Mescolanza (Julien Ferrando et Cristina Alis Rauris) puis l’ensemble De Caelis, en 2018 Eugénie de Mey – au Petit Palais -, en 2019 ce sont plusieurs structures réunies qui apportent leurs domaines d’élection : de talentueux musiciens et chanteurs de la HEM (Haute Ecole de Musique) de Genève, qui partage avec sa voisine de Lausanne une même réputation d’excellence, de la Schola Cantorum de Bâle et du Conservatoire National Supérieur de Musique de Lyon. C’est David Chappuis qui dirige cette petite formation (douze musiciens), qui compte notamment Anne Delafosse (soprano, professeur à Lyon), Baptiste Romain (violon, professeur à Bâle et Besançon notamment) et Olivier Bettens (récitant, spécialiste de prosodie et des relations texte-musique).
Dans le cadre majestueux Grand Tinel du Palais, où se partageaient autrefois les nourritures terrestres, et auquel on accède par des escaliers escarpés, le public est saisi, qu’il soit familier du lieu ou néophyte, par une émotion, une vraie spiritualité, qui émane des pierres historiques.
Et quand s’élèvent, de part et d’autre de la salle, les voix des artistes, répartis tout au long des murs, on est totalement enveloppé par ces mots, ces chants, même si l’on n’en pénètre pas dès l’abord tous les arcanes.
La conférence donnée le matin par David Chappuis et Olivier Bettens – « Chanter les motets de Philippe de Vitry » –, presque en même lieu, au Palais des Congrès, avait offert des hypothèses hardies d’interprétation, suggérant toute la finesse et la subtilité d’un tel programme.
Car le programme, conçu spécialement pour l’occasion, s’articulait autour de l’un des Motets de de Philippe de Vitry, dédié à Clément VI alors que le compositeur séjournait dans la cité des papes, et qui donne son titre au concert « Que ceux qui pleurent sèchent leurs yeux ». En terre avignonnaise, on connaît bien Clément VI (1342-1352), deuxième pape marquant d’Avignon – et quatrième des six « officiels » avant le schisme – après Benoît XII (1334-1342), plus austère ; on doit à ce fin lettré, à ce pape bâtisseur, le Palais Neuf. Et au cœur de la « plus grande forteresse gothique d’Europe », l’intérêt pour ce programme original, inédit, avec Guillaume de Machaut de surcroît, dépassait de loin la simple curiosité anecdotique.
C’est une musique novatrice, pourtant tout irriguée de culture ancienne. Ont alterné textes médiévaux dits par Olivier Bettens, diction et projection parfaites, et textes chantés et/ou joués sur divers instruments reconstitués à l’identique, avec une ébauche de scénographie dans une lente chorégraphie solennelle. Il faudrait nommer le mérite de chacun. Toutefois, si chaque chanteur, chaque instrumentiste, a sa propre couleur, sa chair, sa voix propre, c’est plutôt le raffinement qu’ils tissent ensemble, dessinant des volutes d’espace et de temps, qui en concocte toute la saveur, toute la substantifique moelle.
Et si un concert d’une heure ou une heure quinze, surtout sans entracte, eût pu suffire à donner sa pleine mesure, on ne saurait pour autant se plaindre d’une heure et demie d’une telle qualité. (G.ad. Photos G.ad.)
Prochain concert, toujours au Palais des Papes : musique de chambre, avec le Quatuor Girard et l’altiste Gérard Caussé, dimanche 8 décembre 2019, 17h, Cellier Benoît XII, Avignon. Réservations : www.operagrandavignon.fr
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