Dans cette page :
- Love & Money,
- Misérables,
- Ploum,
- Présences pures,
- Qui suis-je ?
Love & Money, Gilgamesh, durée 1h40.
Le monde de la finance. Corrosif et saisissant
A l’emporte-pièce. C’est ainsi que le théâtre luxembourgeois du Centaure restitue dans toute son authenticité le brûlot de l’Irlandais Dennis Kelly. « Love & Money » : amour et argent, amour ou argent, amour contre argent, amour plutôt qu’argent (ou l’inverse) ? Toute la pièce décline magistralement, en plusieurs tableaux, l’univers impitoyable de la finance et de ceux qu’elle broie. Comme à grands traits elle jette en pâture ces êtres du monde néolibéral, nos voisins, nous-mêmes peut-être, sous les traits de David et Jess. Si la finance demeure abstraite pour beaucoup, pour d’autres elle est tour à tour miroir aux alouettes et laminoir. On y perd son âme, ses valeurs, ses amours, sa vie. Les personnages sont d’une humanité confondante, tragiques, dérisoires et touchants, luttant contre des moulins qui ne prennent jamais corps. Les éléments modulables d’un décor minimaliste soulignent l’âpreté des situations et des mots crument proférés. Corrosif et saisissant. (G.ad. Photos G.ad.)
Misérables, Alizé, durée 1h05. Mise en scène William Mesguich. Programme page 51
Autour de Cosette, spectacle musical émouvant
Mettre en scène Les Misérables de Victor Hugo est une véritable gageure.
Charlotte Escamez a judicieusement resserré l’intrigue autour de Cosette, qui devient la narratrice. Autre choix original : faire de cette œuvre un spectacle musical, avec des compositions originales d’Oscar Clark. Ainsi guitare, violon et flûte traversière plongent avec bonheur dans l’univers de Victor Hugo le public le plus large. Dans un décor très épuré, avec seulement quelques accessoires signifiants, William Mesguich, le metteur en scène, donne vraiment toute la place aux acteurs-chanteurs-musiciens, et à leurs performances. En projection sépia, de magnifiques dessins signés Sényphine. En noir et blanc, comme les costumes, créés par Alice Touvet, et des valeurs du blanc au noir, en passant par toutes les palettes du gris. Seule note de couleur, le rouge de la rose que Cosette dépose sur la tombe de son père, Jean Valjean, rouge de l’amour qui a uni ces êtres. Ce geste est d’autant plus émouvant qu’il est accompagné de la chanson « Papa dort, dors papa » et que c’est le premier que l’on voit puisque c’est ainsi que s’ouvre ce spectacle, Cosette sur la tombe de son père, symbolisée par une croix dessinée au sol par la lumière. Toute la pièce sera donc le récit rétrospectif que nous fera Cosette de sa vie.
Ils ne sont que quatre comédiens mais on peut parler de vraie métamorphose, grâce aux costumes, accessoires et maquillage, pour incarner tous les personnages essentiels. Estelle Andréa (Cosette), avec sa voix de soprano, incarne à merveille la fragilité de cette enfant si malheureuse. Elle jouera aussi le rôle de Fantine sa mère, émouvante dans son désespoir et sa colère contre Monsieur Madeleine, qu’elle croit responsable de tous ses maux. Jean Valjean, incarné par Julien Clément, est très touchant dans son rôle de père protecteur qui dès le début a les cheveux et la barbe blanchis de l’homme sage qu’il est devenu. En effet du Jean Valjean, forçat, galérien, voleur de pain, il est très peu fait mention dans cette pièce, juste pour expliquer justement pourquoi ce Misérable a fait le choix d’aider d’autres Misérables, aussi bien Fantine, que Cosette ou Marius, et a fait le choix de l’amour pour lutter contre la pauvreté et contre la violence.
Cette violence, elle, est superbement représentée par Magali Paliès grimée en Madame Thénardier. Costume, maquillage, gestes et mimiques feraient presque peur. Elle excelle dans ce rôle de femme méchante et violente. Mais elle sait aussi nous montrer toute la palette de son talent en incarnant ensuite un Gavroche fragile, délicat et combatif qui meurt à la barricade, sous les balles, en chantant comme on s’y attendait : « Je suis tombé par terre, c’est la faute à Voltaire, le nez dans le ruisseau c’est la faute à Rousseau ».
Enfin Oscar Clark joue tour à tour un Marius amoureux et qui donne envie d’être aimé, aux accents de sa guitare aux influences très variées aussi bien pop, jazz, blues, rock… et un Javert irritant tant par sa voix que par son comportement. Son masque de commedia dell’arte le rend encore plus antipathique et son suicide annoncé par Cosette ne peut émouvoir car il est le seul à n’avoir pas compris que tout le monde a droit au pardon, et à n’avoir pas retenu la leçon de Jean Valjean : celle de l’amour envers son prochain.
Un grand et bon moment de théâtre donc que cette pièce qui rend les Misérables accessible à tous, qui sait nous emporter, nous émerveiller, nous faire frissonner et nous émouvoir et nous donne une belle leçon de vie. (S.T. Photos Céline Zug)
Ploùm. Collège de la Salle, durée 30mn, enfants (6 mois-5 ans). Programme page 168.
Charmant, pour tout-petits (6 mois-5 ans)
Même adulte, on entre intimidé dans l’igloo de six mètres de diamètre construit face à nous. De part et d’autre de l’entrée, pour nous accueillir, un homme et une femme, tout de blanc vêtus. Ploùm est de ces spectacles pour enfants (de 6 mois à 5 ans) qui font aussi plaisir aux plus grands. La trame, pourtant, est bien simple : de l’immense œuf au centre de l’igloo sort un bébé pingouin. Il cherche sa maman, et voilà le prétexte à un tour de chants évoquant les différents animaux rencontrés. Danièle Temstet (interprétation et mise en scène) et Georges Nounou (texte, musique et interprétation) reprennent là leur succès du festival 2016. Tout est fait pour émerveiller : l’œuf au centre qui prend des allures de lanterne magique, les animaux suspendus et qu’on manipule à vue, les bancs lumineux où s’assied le public, et bien sûr, les chansons. Composées et écrites sur mesure pour le spectacle, elles sont pleines d’humour et plaisent aux petits. Ils découvrent ainsi avec ravissement le phoque, le morse ou l’ours polaire… Mais où est donc la maman ? Quelque part, sur la banquise. Une très belle mise en scène, pleine de poésie, et un très bon « premier spectacle » pour les plus petits. (S. G-T. Photo cie)
Présences pures, Présence Pasteur, durée 50 min
C’est léger, c’est profond,… comme Alzheimer
C’est le hasard d’une recommandation qui m’a entraînée vers une pièce à la thématique analogue à Avant que j’oublie…, vue en 2017 (critique supra).
« Merci » : c’est le mot qui court en murmure partout dans la salle à la fin de cette parenthèse hors du temps. Au début, tout doucement, ce sont de la musique et des chants d’Orient, alors même que le public s’installe. On s’interroge : ne s’est-on pas trompé de salle ou de spectacle ? Mais non, c’est bien là. Mais c’est léger comme une goutte de pluie, comme un flocon de neige, un papillon qui passe, le souffle du vent. C’est léger comme une main tendue, un regard échangé, un sourire partagé. C’est profond comme la vie, comme les questions qu’elle ne manque pas de poser, qu’on ait ou non un parent « Alzheimer ». La poésie du texte de Christian Bobin, c’est celle de toute relation humaine vraie, dégagée de tout le vernis social, celle du cœur-à-cœur. La relation qui atteint à l’essentiel de l’être et de l’intensité de la présence au moment même où la conscience semble sombrer. Touchant et authentique. (G.ad. Photos G.ad.)
Qui suis-je ?, Gilgamesh, durée 1h40
Un adolescent se découvre peu à peu. Authentique et bienveillant
C’est l’histoire, à la fois banale et unique, d’un collégien. De sa vie quotidienne, de ses copains et copine. De lui et des autres, quoi. Un adolescent au physique ingrat, une « endive » qui déteste son reflet dans la glace et dont les maladresses et les contre-performances sportives donnent prétexte à vexations permanentes. Quant à la sexualité, mieux vaut ne pas en parler. Jusqu’au jour où arrive un nouvel élève, Cédric. Bien malgré lui celui-ci sera le catalyseur d’une révélation. Vincent en tombe amoureux…
Trois jeunes acteurs plus vrais que nature donnent une spontanéité rafraîchissante et une évidence naturelle au malaise adolescent et à la découverte de la différence. Une problématique toute proche de l’édition 2018 du festival In.
Les décors et accessoires projetés en cinéma muet, parfois ombres chinoises, offrent un relief humoristique et décalé. Les spectateurs ados présents dans la salle apprécient l’authenticité et la bienveillance du propos. (G.ad.)